Aller au contenu principal

Blanchiment d'argent

Analyse du rapport annuel 2020 du MROS

Après un Rapport 2019 réduit à des statistiques, le Rapport 2020 revient à un format plus conforme aux tâches du MROS qui incluent la sensibilisation des intermédiaires financiers (cf. les typologies figurant au ch. 5) et l’information du public sur l’évolution de la lutte anti-blanchiment.

Statistiques (ch. 4)

Le MROS a fait évoluer sa méthode de travail, ce qui rend la comparaison directe avec les années précédentes difficile. Il donne cependant des indications permettant de rétablir un certain degré de comparabilité.

Les tendances des années précédentes se confirment :

  • augmentation de 25 % des relations communiquées (5’334 communications concernant en moyenne 1,8 relations d’affaires),
  • 89,5 % des communications faites par les banques,
  • infraction préalable la plus souvent mentionnée (58 % des communications) : l’escroquerie ; la crise Covid explique pour partie cela, car ce genre de situation est généralement criminogène et l’octroi de prêts Covid a créé de nouvelles opportunités de fraude.

Par ailleurs :

  • droit de communiquer selon l’art. 305ter al. 2 CP en baisse mais toujours significatif (36,6 % des communications) ;
  • aucune communication de négociants selon l’art. 9 al. 1bis LBA, ce qui pose la question de l’efficacité d’imposer des normes anti-blanchiment à des professions éloignées du secteur financier.

Quelques changements et nouveautés :

  • communications des prestataires de services financiers en crypto-monnaies en augmentation, sans mention de la part qui doit leur être attribuée dans la catégorie « Autres » (185 communications) ;
  • après une vague suscitée par de grandes affaires de corruption internationale (Petrobras, PDVSA, 1MDB, etc.), net recul des communications mentionnant la corruption comme infraction préalable ;
  • émergence du monitoring transactionnel comme élément à l’origine des soupçons le plus souvent mentionné ; il n’est pas certain que ceci révèle une véritable modification de l’importance des éléments déclencheurs ; en effet, il est désormais possible d’indiquer plusieurs déclencheurs de la communication ; or, il est usuel que la communication soit basée à la fois sur une information des médias et sur les investigations liées au monitoring transactionnel.

Le nombre de dénonciations aux autorités de poursuite pénale est de 1’939. Dès lors qu’une dénonciation, qui ne consiste plus en la simple transmission d’une communication, peut contenir des informations liées à plusieurs communications, on ne peut tirer une interprétation particulière de ce chiffre rapporté aux 5’334 communications.

Pratique du MROS

goAML (ch. 3)

Le Rapport salue l’adoption du nouveau système d’information goAML qui doit désormais être utilisé pour effectuer les communications de soupçons de façon électronique. Ce système, qui permet également au MROS de gérer la transmission de rapports d’analyse, d’informations et de documents avec les autorités suisses compétentes, est présenté comme une avancée notable pour l’activité du MROS et la lutte anti-blanchiment.

Or, l’intégration de goAML nécessite des ressources non-négligeables pour les banques et son utilisation par les autres intermédiaires financiers reste un défi. Le MROS publie des documents d’aide utiles mais révélateurs de la complexité du système. On ne peut que regretter l’absence d’une véritable analyse d’impact pour les intermédiaires financiers au moment de la révision de l’OBCBA qui rendait l’utilisation de goAML obligatoire. Une nouvelle version est annoncée : il faudra faire mieux.

Défaut de qualité des communications (ch. 3.5) ?

Le MROS déplore un manque de qualité des informations jointes aux communications. Se référant à l’art. 3 OBCBA, il se réserve le droit, après un examen qui ne peut être que sommaire, de ne pas en confirmer la réception, le délai de traitement de l’art. 23 al. 5 LBA ne commençant à courir que lorsque la communication est jugée complète (art. 4 al. 1 OBCBA). Le MROS agit ainsi lorsqu’il juge que des clarifications selon l’art. 6 LBA sont manquantes, mais aussi lorsqu’une communication ne contient pas de transaction suspecte. Premièrement, ceci pose la question de la base légale qui autoriserait le MROS à surseoir à accuser réception d’une communication, voire à la rejeter. Deuxièmement, on peut s’interroger quant aux conséquences d’une telle décision pour l’intermédiaire financier, alors qu’il est soumis à la surveillance de la FINMA ou de son OAR et que la procédure de droit pénal administratif pour violation de l’obligation de communiquer (art. 37 LBA) est de la compétence du Service juridique du Département Fédéral des Finances et non du MROS.

Concernant les informations supposées manquantes, ceci peut s’expliquer de différentes façons, sans qu’il y ait un manque de diligence de la part de l’intermédiaire financier, en particulier :

  • L’approche fondée sur les risques n’a pas pour but de rassembler systématiquement des documents probants liés à l’ensemble des éléments du KYC et des transactions.
  • Un simple doute non-levé, voire un malaise, peut entraîner une communication.
  • En cas de soupçon fondé suite à une information sur une personne et/ou l’origine de sa fortune, il peut être difficile d’identifier dans un délai raisonnable des transactions douteuses dans la relation d’affaires.
  • Compte tenu de la jurisprudence en matière de violation de l’obligation de communiquer, les intermédiaires financiers sont soumis à une forte pression concernant le délai dans lequel ils doivent procéder à des communications de sorte que, malgré leurs efforts, ils devront parfois communiquer avant d’avoir finalisé la clarification.

En conclusion, il serait souhaitable que cette pratique consistant à retarder le traitement ou à rejeter des communications soit revue, y compris en s’interrogeant sur sa compatibilité avec une lutte anti-blanchiment efficace.

Ordonnance de production de pièces ou de séquestre des autorités de poursuite pénale et obligation de communiquer (ch. 6.3)

Le MROS revient sur la question de l’obligation de communiquer après réception d’une ordonnance d’une autorité de poursuite pénale.

Il cite l’ATF 144 IV 391, largement commenté par la doctrine, et rappelle que, si l’intermédiaire financier constate par les clarifications faites en vertu de l’art. 6 al. 2 let. b LBA qu’il existe un soupçon fondé portant sur d’autres relations d’affaires que celles couvertes par l’ordonnance, il y a obligation de communiquer. Le MROS applique le même raisonnement aux transactions suspectes qui seraient hors de la période visée par l’ordonnance. Ceci correspond à la pratique et est logique puisque, dans ces deux cas, l’autorité de poursuite pénale ne pourrait avoir connaissance de ces faits sur la base des documents reçus. Le MROS élargit cependant son raisonnement à l’identification des personnes mentionnées si elles sont « donneurs d’ordre et bénéficiaires de virements internes ou internationaux », ce qui est un type de recherche très particulier réservé à certaines circonstances, ainsi qu’à des « éléments de soupçons supplémentaires ou nouveaux en lien avec les mêmes (…) personnes mentionnées dans l’ordonnance de production des pièces et/ou de séquestre ou impliquées dans la relation d’affaires dont les valeurs patrimoniales sont objet du séquestre (…) et pour des nouveaux éléments pouvant fonder un soupçon ». Il ajoute que « quand l’intermédiaire financier reçoit une ordonnance (…), il s’engage, par une application correcte des obligations de diligence (…) à identifier d’éventuels autres éléments de soupçon. Tant que cette activité n’est pas achevée, l’intermédiaire financier n’est pas en mesure d’exclure l’existence d’un soupçon fondé. » Comment est-ce qu’un intermédiaire financier qui reçoit une ordonnance en tant que tiers saisi, contenant des « circonstances de fait, généralement succinctes indiquées par l’autorité de poursuite pénale » pourrait identifier qu’un élément serait nouveau pour l’autorité de poursuite pénale, alors qu’il n’est pas forcément en mesure de savoir avec précision qui est poursuivi et quels sont les faits déjà identifiés ? A noter que la situation est encore plus difficile en cas de demande du MROS selon l’art. 11a al. 2 LBA, puisqu’il n’indique même pas les infractions potentiellement concernées, y compris s’il s’agit de criminalité organisée ou de financement du terrorisme.

L’obligation de clarifier de l’art. 6 LBA a pour but d’assurer, d’une part, une gestion des risques adéquate et, d’autre part, le respect par les intermédiaires financiers de leur obligation de communiquer, mais pas d’exiger de l’intermédiaire financier qu’il guide ensuite l’autorité de poursuite pénale dans l’analyse des documents remis. Ce d’autant plus que les contraintes de temps de la communication et de la procédure pénale sont fondamentalement différentes. Lorsque l’autorité pénale reçoit sur la base de son ordonnance l’ensemble des documents demandés, qu’il n’y a pas d’autre relation d’affaires concernée et que la période concernée est entièrement couverte, il faut considérer qu’il n’y a plus d’obligation de communiquer même si l’autorité pénale n’a pas encore identifié l’ensemble des éléments de soupçon.

Compte tenu des conséquences prudentielles pour les intermédiaires financiers et de droit pénal administratif pour leurs collaborateurs, on ne saurait étendre la portée de l’obligation de communiquer de façon exagérée, attribuant aux intermédiaires financiers une responsabilité qui relève des autorités.

Perspective

Les difficultés pointées par le MROS doivent être prises en compte, car toute faiblesse dans le dispositif anti-blanchiment est néfaste pour la place financière suisse. Toutefois, notamment dans la perspective d’un possible partenariat public-privé évoqué par le MROS, il est indispensable de (re)définir les compétences de l’ensemble des partenaires. Ceci ne peut pas se résoudre par une forme d’outsourcing matériel encore plus étendu au secteur privé, que cela soit en termes de ressources ou de responsabilités.