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Contrats bancaires 

Réagir en temps utile ou perdre ses droits

Lorsqu’une banque annonce à son client qu’elle va liquider ses titres à défaut de réaction de sa part dans le délai imparti, le client peut-il se plaindre a posteriori de la liquidation de ses titres ? Le Tribunal fédéral se penche sur cette problématique dans l’arrêt 4A_354/2020 du 5 juillet 2021.

Un ressortissant mexicain dispose d’un compte bancaire à Genève depuis 2006. En 2010, la banque modifie ses conditions générales afin qu’elle puisse mettre fin aux relations contractuelles en tout temps, avec effet immédiat, sans avoir à donner de motif. Elle peut ainsi vendre les avoirs au prix du marché si le client ne donne pas d’instruction de transfert.

En 2016, la banque a des doutes quant à la conformité fiscale de son client. Après lui avoir adressé un courrier en banque restante, elle lui envoie, le 22 avril 2016, un nouveau courrier à son adresse au Mexique. Ce courrier précise que la banque est obligée de clôturer la relation contractuelle. Le client a ainsi un délai de deux mois dès l’envoi du courrier pour la contacter rapidement ; à défaut, les titres seront liquidés.

Le client reçoit le courrier le 17 juin 2016, mais ne téléphone pas à la banque. En effet, il n’utilise pas ce moyen de communication pour la contacter depuis le Mexique. Il se rend néanmoins à la banque mi-juillet 2016 où il apprend que ses titres ont été vendus. Il conteste formellement cette vente.

La banque refuse par la suite de transférer ses avoirs auprès d’une autre banque en Suisse, car le client ne lui aurait pas remis un document de conformité fiscale. Elle modifie sa position après plusieurs décisions de la Cour de justice genevoise et transfère les avoirs auprès d’une autre banque, ce qui permet au client de racheter ses titres, à un cours toutefois plus élevé.

Le client saisit le Tribunal de première instance genevois afin que la banque lui rembourse la différence entre la valeur des titres à la vente et celle au rachat (soit USD 57’858). Le Tribunal considère que la banque a vendu les titres sans instruction et sans respecter les conditions générales. Par ailleurs, même si le client avait réagi au courrier de la banque, il n’aurait pas réussi à empêcher la vente de ses titres puisque la banque refusait tout transfert de ses avoirs. Le Tribunal admet ainsi la demande.

La Cour de justice renverse le jugement. Elle laisse ouverte la question de l’application des conditions générales. Elle retient cependant que le client aurait manqué de diligence en ne « donnant pas immédiatement suite » au courrier de la banque. Or rien n’indiquerait que la banque aurait refusé de surseoir à la vente des titres si le client s’était manifesté. Au contraire, le représentant de la banque a indiqué, en procédure, qu’elle les aurait conservés si le client avait donné à temps des instructions. Le fait que la banque ait refusé, par la suite, de transférer les avoirs du client serait indépendant de la vente des titres (ACJC/624/2020).

Saisi par le client, le Tribunal fédéral commence par rappeler que le principe de la bonne foi impose au client de contester en temps utile les opérations bancaires qu’il n’admet pas. Ce principe s’applique également s’il est informé à l’avance par la banque d’une opération qu’il ne veut pas.

En l’espèce, l’élément déterminant est de savoir si le client devait contester, dans le délai imparti par le courrier de la banque, la vente de ses titres. Lorsqu’il a reçu le courrier, le client disposait encore de cinq jours selon le délai, et même en réalité de 12 jours, vu que la vente de ses titres a finalement eu lieu le 30 juin 2016. La Cour de justice a considéré que ce délai était suffisant. Le Tribunal fédéral considère que le client ne critique pas cet élément. Par ailleurs, le fait qu’il soit venu à la mi-juillet 2016 à la banque ne remplit pas la condition de la réaction en temps utile. Partant, le client n’a pas contesté à temps la liquidation de ses titres. Cette conclusion permet au Tribunal fédéral de se dispenser de l’examen des conditions générales.

Le fait que la banque aurait conservé les titres si le client avait réagi à temps est une question de fait, que le Tribunal fédéral ne revoit que sous l’angle de l’arbitraire. Or le client ne démontre pas que cette appréciation des faits serait arbitraire.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours du client.

Dans un domaine où les conditions générales prévoient de plus en plus d’obligations à la charge des clients, le lecteur pourrait être surpris que le Tribunal fédéral crée de nouvelles obligations à la charge du client en se fondant sur les règles de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC).

En effet, la jurisprudence avait déjà déduit de ces règles que la cliente violait le contrat lorsqu’elle ne prenait pas connaissance de son courrier en banque restante (pour un commentaire critique, cf. cdbf.ch/1051/). Dans ce nouvel arrêt, le Tribunal fédéral élargi sa jurisprudence. Malheureusement sans aucune référence jurisprudentielle ou doctrinale, il crée une obligation de réagir à toute demande de la banque, à défaut de quoi la banque pourrait ensuite violer le contrat (in casu vente sans autorisation de titres) sans conséquence, et cela même si le client réagit rapidement après cette violation.

Peut-être que les faits particuliers du cas d’espèce, notamment que le client ne désirait pas contacter sa banque depuis le Mexique, poussent le Tribunal fédéral à se montrer plus exigeant envers ce client. Il reste à espérer que cette jurisprudence ne soit pas étendue à des situations qui ne s’y prêtent pas.