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Contrats bancaires

Action en restitution de métaux précieux (Acte II)

Dans son arrêt 4A_223/2021 du 26 août 2021, le Tribunal fédéral juge d’une action en protection des cas clairs concernant la remise de 299 onces d’or physique. Ce litige a déjà donné lieu à un arrêt du Tribunal fédéral qui avait renvoyé la cause à l’Obergericht du canton d’Argovie pour nouveau jugement portant sur l’application de la clausula rebus sic stantibus (4A_263/2019 du 2 décembre 2019, commenté in cdbf.ch/1109/). Par arrêt définitif du 14 avril 2020, le Tribunal cantonal condamne la banque à remettre les 299 onces d’or à un client allemand.

À la suite de cette victoire, le client réclame son dû à la banque sous forme de 299 pièces d’une once chacune, soit 100 Canadian Maple Leaves, 100 Österreichische Philharmonics et 99 Australian Gold Nuggets. Pour ce faire, il se réfère à une lettre de la banque datée du 11 février 2014 mentionnant des frais estimés à CHF 14 l’once « pour la conversion du solde d’or en pièces », soit un total de CHF 4’186. La banque refuse et lui propose de livrer ces pièces pour EUR 22’815 ou des lingots d’un kilo pour EUR 29’590.

Le 4 août 2020, le client dépose une requête en protection des cas clairs concluant à la condamnation de la banque à la remise physique des pièces requises, au prix de CHF 14 par once. Les instances cantonales déboutent le client qui recourt au Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral rappelle qu’une interprétation d’un contrat selon le principe de confiance (art. 18 CO) n’est en soi pas exclue dans une procédure dans les cas clairs. Pour démontrer qu’une situation juridique est claire, il faut cependant que la conclusion et le contenu de la disposition contractuelle soient sans ambiguïté en application du principe de confiance.

Le client a une créance en restitution de 299 onces d’or en tant que chose. En vertu de l’art. 71 al. 1 CO, si la chose due n’est déterminée que par son genre, le choix appartient au débiteur, à moins que le contraire ne résulte de l’affaire. Il convient de déterminer dans le cas d’espèce, si un accord s’est dégagé sur le type de « remise » de l’or, la dénomination ainsi que le montant des frais engagés pour l’achat de l’or dans la dénomination demandée par le client.

Le client prétend qu’un accord contractuel a été conclu entre lui et la banque en ce qu’il a accepté l’offre de la banque de livrer les pièces d’or pour CHF 14 par once et que la banque est ainsi liée par son offre. Pour ce faire, il se fonde sur la correspondance échangée avec la banque entre 2014 et 2020. Selon le Tribunal fédéral, bien que la lettre du 11 février 2014 indique un prix de CHF 14 par once, il apparaît que la banque refuse dans cette lettre de remettre physiquement les pièces d’or au client et qu’elle ne mentionne en lien avec les frais de CHF 14 qu’une « conversion » et non une « remise » ou « livraison ». Par ailleurs, deux courriers subséquents du conseil de la banque sont irréconciliables avec la lettre du 11 février 2014 car ils mentionnent des coûts de CHF 14 par once pour la « conversion » en lingots et non en pièces d’or comme évoqué dans la lettre du 11 février 2014. Selon le Tribunal fédéral, on ne peut ni supposer qu’une réelle et commune intention est incontestée ou immédiatement démontrable, ni qu’un accord normatif est clairement établi conformément au principe de confiance.

Le Tribunal fédéral rejette les griefs formulés par le client de déni de justice, violation du droit d’être entendu et établissement arbitraire des faits. Le client  ne conteste pas que les lettres en question soient incohérentes. Il accuse uniquement la banque d’avoir « délibérément […] créé la confusion » afin de rendre son action irrecevable. Le client oublie néanmoins que c’est lui-même qui se réfère aux lettres en question pour tirer sa prétention des passages respectifs qui lui seraient favorables. La question de savoir si ces correspondances écrites par la banque doivent être interprétées au désavantage de celle-ci par analogie avec la règle dite des clauses ambiguës (in dubio contra stipulatorem) peut rester ouverte. Cette règle, même applicable, n’entrerait en jeu que si les autres moyens d’interprétation échouaient et que les doutes existants ne pouvaient être résolus autrement. La procédure sommaire des cas clairs est exclue pour des questions d’interprétation aussi approfondies.

La requête pour cas clairs est en conséquence définitivement déclarée irrecevable. Il appartiendra au client d’ouvrir une nouvelle action pour faire valoir ses droits. À ce propos, le Tribunal fédéral note dans un obiter dictum que la question se pose de savoir dans quelle mesure l’action en livraison des pièces introduite par la présente procédure concerne l’affaire de la restitution de 299 onces d’or, déjà tranchée, et empêche ainsi une nouvelle décision (art. 59 al. 2 lit. e CPC). Si le client introduit une action par la voie de la procédure ordinaire, cette question devra être examinée dans le cadre de l’examen de la recevabilité.

Les leçons principales à tirer de cette affaire sont que peu de situations factuelles et juridiques sont claires et qu’il convient d’anticiper l’exécution d’un jugement donnant gain de cause en formulant des conclusions pouvant être directement et facilement exécutées par une requête d’exécution en vertu des art. 338 ss CPC au risque sinon de se retrouver perdu dans les limbes du droit de procédure qui se révèle plus terre à terre que le droit matériel (pour un autre exemple récent, cf. cdbf.ch/1186/). En cas d’ouverture par le client d’une procédure d’exécution (art. 338 ss CPC), le client devrait obtenir sans frais la livraison de 299 onces d’or physique sous la forme choisie par la banque, le client ayant manqué la possibilité de requérir des pièces d’or spécifiques lors du premier procès et la banque celle d’y faire valoir ses prétentions quant aux frais en formulant une conclusion subordonnant la livraison au paiement des frais (art. 342 CPC). Après avoir effectué la livraison, la banque pourrait toutefois encore réclamer dans un nouveau procès le paiement de frais mais les rôles et la charge de la preuve seraient alors inversés.