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Contrats bancaires

Remise de métaux précieux et lutte contre le blanchiment d’argent : une intervention justifiée dans le contrat ?

Une banque peut-elle refuser de remettre à un client 8 kg d’or au motif qu’il ne veut pas attester de sa conformité fiscale ? Alors que les instances cantonales ont répondu par la positive, le Tribunal fédéral admet le recours du client (4A_263/2019 du 2 décembre 2019, non destiné à la publication). Cet arrêt offre une intéressante illustration de l’interaction entre le droit pénal étranger, les règles suisses contre le blanchiment d’argent et les principes généraux du droit privé.

Un client allemand investit en 2003 et en 2007 dans un compte métaux précieux auprès d’une banque suisse. En janvier 2014, il demande à sa banque la remise en nature de 299 onces d’or (8’476 grammes) créditées sur son compte, équivalentes à CHF 329’613.-. Face au refus du client de certifier au moyen d’un formulaire que le compte était déclaré au fisc allemand, la banque résilie la relation contractuelle et offre de verser la contre-valeur sur le compte d’un autre établissement financier. Peu intéressé par une telle proposition, le client dépose devant le Bezirksgericht de Bad Zurzach (AG) une demande en exécution afin de récupérer l’or convoité.

Malgré l’existence d’une prétention contractuelle à la délivrance de cet or, la première instance cantonale déboute le client. Elle considère que l’ordre donné à la banque est contraire aux mœurs au sens des art. 19 al. 2 et 20 al. 1 CO. L’Obergericht du canton d’Argovie confirme ce jugement en retenant des motifs supplémentaires. Non seulement la banque avait le droit de refuser la remise en nature en raison de l’absence de paper trail (art. 32 al. 1 OBA-FINMA), mais en plus le contrat devait être modifié en application de la clausula rebus sic stantibus.

Saisi par le client, le Tribunal fédéral examine l’application des règles contre le blanchiment d’argent et de la clausula lorsqu’une banque refuse de remettre à un client ses avoirs en espèce.

Selon l’art. 32 OBA-FINMA, lorsque l’intermédiaire financier met un terme à une relation d’affaires douteuse sans procéder à une communication faute de disposer de soupçons fondés de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme, il ne peut autoriser le retrait d’importantes valeurs patrimoniales que sous une forme qui permette aux autorités de poursuite pénale, le cas échéant, de suivre la trace de la transaction (paper trail). Le Tribunal fédéral rappelle, doctrine à l’appui, que cette norme ne s’applique en matière de fiscalité que s’il existe des indices de faux dans les titres couplée d’une soustraction d’impôts d’une valeur d’au moins CHF 300’000.- par période fiscale (art. 305bis al. 1bis CP). En l’espèce, la valeur litigieuse s’élève à CHF 329’613.-. Or il est notoire qu’il n’existe pas en Allemagne un taux d’imposition de près de 100 %. Partant, le Tribunal fédéral conclut que l’art. 32 OBA-FINMA ne s’applique pas au cas d’espèce.

La clausula rebus sic stantibus permet l’intervention du juge dans un contrat en raison (i) d’un changement de circonstances qui n’était (ii) ni prévisible (iii) ni évitable et (iv) qui altère gravement l’équivalence des prestations. Dans l’examen de la dernière condition, l’Obergericht a procédé à une pesée des intérêts. D’un côté, le client n’a pas démontré en quoi il ne pouvait lui être imposé de remettre à la banque une déclaration de conformité fiscale. De l’autre, la banque ne pouvait prendre le risque d’être complice d’un délit fiscal et de se retrouver dans le viseur du régulateur en remettant l’or au client. Cette analyse, un peu trop simpliste, ne convainc pas le Tribunal fédéral. S’appuyant sur l’analyse détaillée d’Emmenegger/Good, il précise donc le raisonnement à suivre pour déterminer si la dernière condition de la clausula rebus sic stantibus est remplie.

À titre liminaire, le Tribunal fédéral nous rappelle que l’art. 8 CC implique que la banque prouve les faits dont elle déduit son droit à refuser la prétention contractuelle. Dans un premier temps, l’instance cantonale doit établir si la remise de l’or en nature peut être qualifiée pénalement de complicité à une infraction fiscale au regard du droit allemand. Il convient ensuite d’examiner si la banque a déjà commis une infraction pénale en acceptant les avoirs non déclarés du client. Si tel est le cas, la clausula ne s’applique que si le risque de sanctions se concrétise précisément avec la remise de l’or ou si les conséquences d’une condamnation pénale sont nettement plus importantes en raison de cette remise en espèces par rapport au transfert des avoirs auprès d’un autre établissement. Enfin, le tribunal doit prendre en considération les conséquences pour le client d’une dénonciation volontaire au fisc allemand afin de pouvoir procéder correctement à une pesée des intérêts des deux parties au contrat. Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie la cause à l’Obergericht pour qu’il procède à cet examen.

En outre, lorsque le tribunal effectue cette pesée d’intérêts, il doit garder en tête que tout changement de circonstances qui n’était ni prévisible ni évitable et qui altère gravement l’équivalence des prestations ne permet pas encore au juge d’intervenir dans la relation contractuelle. Le principe pacta sunt servanta doit en principe être respecté. Concrètement, les banques ne peuvent refuser d’exécuter leurs obligations contractuelles afin de répercuter sur le client étranger tout risque, même lointain, de sanction.

Après plusieurs arrêts n’examinant pas en profondeur la problématique de la remise d’avoirs potentiellement non déclarés (4A_168/2015, commenté in Stéphanie Hodara El Bez, cdbf.ch/935/ et 4A_383/2018), cette décision a le mérite d’indiquer avec précision la démarche à suivre afin d’appliquer la dernière condition de la clausula dans de telles circonstances.

À l’avenir, les banques désirant éviter de devoir invoquer la clausula devraient modifier leurs conditions générales. À noter que, selon Emmenegger/Good, une telle modification ne pourra pas se produire à l’aide d’un consentement tacite des nouvelles conditions générales. Le client devra effectivement en prendre connaissance et les accepter.