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Responsabilité

Une gestion de fortune à haut risque qui tourne mal

Dans l’arrêt 4A_263/2021, le Tribunal fédéral analyse la responsabilité d’une société de gestion de fortune selon l’art. 55 CO. Celle-ci avait engagé un gestionnaire de fortune comme gérant externe qui avait adopté une stratégie d’investissement risquée. Cette dernière s’est traduite par des pertes conséquentes pour le client.

En mars 2008, le client ouvre un compte auprès d’une première banque suisse et confie la gestion de l’entier de ses avoirs à un trader spécialisé dans les produits dérivés. Au cours du mois de mai 2008, le client subit d’importantes pertes. Selon le gestionnaire, elles seraient dues à un défaut de la plateforme de trading.

Sur conseil du gestionnaire, le client ouvre en juillet 2008 un compte auprès d’une seconde banque afin de bénéficier de sa plateforme de trading qui correspond mieux à leurs attentes. Dans les documents d’ouverture, le client sélectionne l’ensemble des produits proposés par la plateforme et accepte les conditions générales. Il confirme aussi avoir lu la déclaration sur les risques. En août 2008, le client transfère l’ensemble de ses avoirs auprès de la seconde banque. Il octroie par la même occasion une procuration en faveur du gestionnaire.

Afin d’exercer comme gérant externe et bénéficier de commissions, le gestionnaire est engagé par une société de gestion de fortune en tant que Trader Senior. Cet engagement est communiqué au client le 15 octobre 2008.

Le 3 novembre 2008, le client s’inquiète auprès du gestionnaire des pertes subies. Ce dernier l’informe que son portefeuille recouvrera rapidement les pertes. Dans la foulée, le client signe une nouvelle procuration en faveur du gestionnaire en sa qualité d’employé de la société. Le 5 novembre, le client interpelle une nouvelle fois le gestionnaire, car le portefeuille a subi d’importantes pertes en quelques jours.

Par la suite, le client se plaint, à plusieurs reprises, auprès du gestionnaire et de la banque des pertes subies. Le 9 janvier 2009, l’avocat du client demande au gestionnaire de cesser toute gestion et indique que la perte pour la période du 31 octobre 2008 au 9 janvier 2009 s’élève à CHF 727’341. Le 31 mars 2009, la société résilie avec effet immédiat le contrat de travail du gestionnaire. Ce dernier décède en 2012.

Saisi d’une demande en paiement contre la banque et la société, le Tribunal de première instance déboute le client de toutes ses conclusions. Un appel est interjeté par celui-ci auprès de la Cour de justice du canton de Genève qui annule le jugement et renvoie la cause afin qu’une expertise judiciaire soit diligentée. Le Tribunal déboute à nouveau le client de ses conclusions contre la banque, mais condamne la société à restituer les rétrocessions perçues pour la période du 6 novembre 2008 au 9 janvier 2009. Par arrêt du 16 mars 2021, la Cour de justice rejette l’appel de la société et l’appel joint du client.

Le client forme alors un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral. Il soutient que le gestionnaire est coupable de gestion déloyale et que les conditions de l’art. 55 CO sont remplies. La société devrait ainsi réparer le dommage évalué à CHF 727’341.

Selon l’art. 55 al. 1 CO, l’employeur est civilement responsable de l’acte de son employé si (i) l’acte se trouve dans un rapport de subordination personnelle à l’égard de l’employeur, (ii) l’acte est commis dans l’accomplissement de son travail, (iii) l’acte est illicite, (iv) le lésé subit un dommage et (v) il existe un rapport de causalité naturelle et adéquate entre le dommage et l’acte illicite.

Le Tribunal fédéral relève que le client n’a pas prouvé la gestion déloyale au sens de l’art. 158 CP. D’une part, aucun élément du dossier ne permet de retenir que le gestionnaire a intentionnellement enfreint ses obligations envers le client. D’autre part, le client n’a pas contesté le fait qu’il a voulu et validé la gestion effectuée par le gestionnaire pendant la période litigieuse. À ce sujet, l’expertise indique qu’aucun profil de risque n’avait été établi. Le profil devait alors être déduit du type et style de gestion opérée par le gestionnaire. Cette gestion consistait à acheter et vendre des produits dérivés avec effet de levier dans des intervalles rapprochées. Dès lors, le gestionnaire plaçait des montants importants afin de profiter des légères différences de cours sur de courtes périodes. Ainsi, cette gestion devait être considérée comme très risquée.

Par ailleurs, la pratique de barattage a été écartée par l’expertise. Les nombreuses opérations effectuées par le gestionnaire étaient inhérentes à une stratégie à haute fréquence.

Au vu des pièces du dossier, le client souhaitait donc une gestion agressive, et non conservatrice. Il avait en outre compris le type de gestion et les risques inhérents. Les conditions générales de la banque mentionnaient avec clarté l’étendue des risques assumés par le client pouvant aller jusqu’à la perte totale du capital. À cela s’ajoute, le fait que le client avait accès en temps réel à son compte en ligne et qu’il était en mesure de se renseigner sur les opérations effectuées.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Il est intéressant de noter qu’en raison de l’absence de mandat de gestion écrit, le Tribunal fédéral se réfère à la documentation de la banque pour établir que le client avait été suffisamment informé des risques. Par ailleurs, la possibilité pour le client d’accéder directement à la plateforme de trading a joué en sa défaveur. En effet, le client pouvait à tout moment s’informer sur la stratégie d’investissement et la comprendre.

À la lecture de cet arrêt, les clients ayant un accès en temps réel à leurs comptes sur une plateforme de trading en ligne, mais dont la gestion est faite par un gérant, devraient être attentifs aux opérations effectuées et contester la stratégie qui s’écarte de la gestion voulue. Dans le cas contraire, cet accès direct pourrait être retenu en leur défaveur.