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Contrats bancaires

Négoce algorithmique et market making

L’utilisation d’un programme de négoce algorithmique doit-elle être considérée comme une substitution au sens de l’art. 398 al. 3 CO  ? Le mandataire viole-t-il son devoir d’information s’il ne renseigne pas régulièrement son mandant sur le déroulement du market making  ? Le Tribunal fédéral répond par la négative à ces deux questions dans l’arrêt 4A_305/2021.

Une société de droit israélien conclut un contrat de mandat avec une banque suisse. Selon ce contrat, la banque s’engage à faire, pour son compte et à ses risques, le négoce des actions nominatives de la société mandante afin d’éviter une interruption du négoce des actions. Ces dernières sont en effet cotées à la bourse SIX Swiss Exchange. Pour son activité de market maker, la banque perçoit une rémunération annuelle de CHF 60’000.- hors taxe. Le contrat débute le 1er juillet 2010. Par e-mail du 7 juillet 2010, la banque indique à la société avoir commencé le market making et qu’elle monitore en permanence la cotation. Elle précise également que la société peut la contacter en cas de questions. Pendant un peu plus de 8 ans, il n’y a aucune communication entre la société et la banque. Cette dernière établit le 21 novembre 2018 sa première facture. La société décide de ne pas la payer et résilie oralement le contrat le 20 mars 2019.

Saisi d’une demande en paiement, le Handelsgericht du canton de Zurich condamne la société au paiement des honoraires de la banque pour la période allant du 1er janvier 2015 au 20 mars 2019.

La société dépose alors un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral. Elle prétend notamment que la banque a violé ses obligations contractuelles en faisant une substitution non-autorisée et en ne l’informant pas régulièrement du déroulement du market making.

Le Tribunal fédéral mentionne tout d’abord l’art. 398 al. 3 CO. Cette disposition prévoit que le mandataire est tenu d’exécuter le mandat personnellement, à moins qu’il ne soit autorisé à le transférer à un tiers, qu’il n’y soit contraint par les circonstances ou que l’usage ne permette une substitution de pouvoirs. Le Tribunal fédéral précise que la notion de tiers fait exclusivement référence aux personnes physiques ou morales. Cela résulte notamment de l’art. 399 al. 3 CO disposant que le mandant peut faire valoir directement ses prétentions contre le tiers.

Dans le cas d’espèce, la banque a utilisé un programme algorithmique automatisant le négoce afin de faciliter l’exécution du market making. Cette pratique consiste à acheter et vendre une valeur mobilière spécifique en vue d’en améliorer sa liquidité sur les bourses et de réduire ainsi l’écart achat-vente. Ce programme algorithmique est donc un outil, de telle sorte qu’il est dépourvu de personnalité juridique et ne peut pas être considéré comme un tiers. Par conséquent, l’utilisation d’un programme de négoce algorithmique ne constitue pas une substitution au sens de l’art. 398 al. 3 CO.

Le Tribunal fédéral examine ensuite s’il y a eu une violation du devoir d’information. Il indique que le contrat ne prévoyait aucunement une obligation d’établir des rapports réguliers sur le déroulement du market making. Pour cela, il se fonde sur l’arrêt cantonal qui indique que les parties avaient réglé contractuellement le devoir d’information. Ils avaient donc concrétisé l’art. 400 al. 1 CO. En l’espèce, les parties sont convenues que la banque informerait la société en cas d’événements du marché ou de l’activité en lien au contrat. En outre, le contrat prévoyait que la société serait informée « si besoin ». Ainsi, le devoir d’information dépendait d’événements du marché ou de l’évolution de la situation. Or, la recourante n’explique pas dans quelle mesure des événements concrets en lien à la gestion du mandat auraient dû amener la banque à l’en informer.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Cet arrêt appelle trois remarques.

Premièrement, le Tribunal fédéral nie la personnalité juridique aux algorithmes. Cela est convaincant, puisque les algorithmes sont des outils visant à automatiser l’exécution de tâches, comme dans le cadre du négoce algorithmique.

Il y a lieu de rappeler ici que des obligations prudentielles s’appliquent au négoce algorithmique. En effet, celui-ci peut représenter un risque pour les marchés. L’art. 31 OIMF prévoit des obligations tant pour les plateformes de négociation que les participants ayant recours au trading algorithmique. La Circulaire FINMA 2013/8 relative aux règles de conduite sur le marché fait aussi mention du négoce algorithmique et exige des assujettis qu’ils s’assurent que leurs systèmes ne puissent pas donner des signaux faux ou trompeurs sur l’offre, la demande ou le cours de valeurs mobilières. Par ailleurs, la pratique de market making est admise par cette même circulaire.

Deuxièmement, il est légitime de se demander si le Tribunal fédéral n’est pas un peu trop conciliant envers la banque à l’égard de son devoir d’information. Bien qu’aucune obligation de rendre régulièrement des comptes n’était prévue, la banque a tardé plus de huit ans pour envoyer sa première facture. Celle-ci était d’ailleurs la première communication de la banque depuis l’e-mail du 7 juillet 2010. On peut considérer que la banque a fait preuve d’une certaine négligence à ce sujet. Cependant, cette négligence est toute relative. En effet, on peut également critiquer le comportement passif de la société mandante qui n’a pris contact avec la banque qu’une fois la première facture reçue.

Troisièmement, il ne ressort pas clairement des faits si la société a été informée, au moment de la conclusion du contrat, de l’utilisation d’un programme de négoce algorithmique. On peut ainsi se demander s’il existe, ou non, un devoir d’informer lorsque le mandataire utilise un programme de négoce algorithmique pour exécuter automatiquement sa prestation.