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Responsabilité de la banque

Appel de marge et réalisation des actifs, un risque pénal pour la banque ?

Une banque peut-elle se rendre coupable de gestion déloyale dans le cadre de la réalisation d’actifs à la suite d’un appel de marge ? Les confirmations de transactions communiquées par la banque constituent-elles des titres avec une valeur probante accrue au regard de l’art. 251 CP ? Dans l’arrêt 6B_1381/2021, le Tribunal fédéral répond par la négative à ces deux questions.

Un client conclut avec sa banque un contrat execution only de négoce d’options et de futures en 2015. Ce contrat oblige notamment le client à satisfaire en tout temps les besoins en marge que la banque jugerait nécessaires selon les transactions initiées. Si le client ne satisfait pas aux besoins en marge, la banque peut réaliser les positions à sa libre appréciation. Ce système de marge permet à la banque de se prémunir contre les risques de pertes engendrés par les transactions envisagées.

En 2018, la banque adresse au client un appel de marge. L’intéressé n’y donne pas suite. La banque réalise les positions du client en les reprenant dans ses livres et lui transmet une confirmation de transactions selon laquelle ses positions auraient été réalisées sur le marché boursier. La banque ne mentionne ainsi aucunement qu’elle a repris les positions dans ses livres. A la suite de cette opération, le compte du client affiche un solde négatif de plus de 4 millions de francs.

Le client dépose une plainte pénale contre la banque notamment pour gestion déloyale (art. 158 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP). Il lui reproche (i) de lui avoir causé un préjudice en reprenant les positions qu’il détenait pour son compte à des prix inférieurs à ceux du marché et (ii) de lui avoir faussement annoncé dans les confirmations de transactions que ses positions avaient été réalisées sur le marché boursier.

Le Ministère public ordonne le classement de la plainte pénale. Cette décision ayant été confirmée par la juridiction cantonale, le client forme un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler sa jurisprudence en matière de faux dans les titres (art. 251 CP). En particulier, le document en cause doit revêtir une crédibilité accrue, un simple mensonge écrit ne constituant pas un faux intellectuel.

En matière bancaire, le Tribunal fédéral a admis qu’un relevé de compte adressé à un client par un organe dirigeant revêtait une valeur probante accrue (cf. ATF 120 IV 361) – tandis que cette caractéristique a été niée s’agissant de relevés établis automatiquement sans signature par un gérant de fortune (cf. TF 6B_199/2011).

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral relève qu’il n’existe pas de relation de confiance particulière entre les parties. Le client gère en effet seul son compte, aucun mandat de gestion n’étant convenu avec la banque. En tout état de cause, les confirmations de transactions lui ont été communiquées à la suite du non-respect des appels de marge, de sorte que la banque n’agissait pas dans les intérêts du client. En outre, le Tribunal fédéral constate que les documents litigieux ont été générés automatiquement et n’étaient munis d’aucune signature.

Dans ces circonstances, et contrairement à ce qu’avait retenu la juridiction cantonale, le Tribunal fédéral estime que les confirmations de transactions ne revêtent pas de valeur probante accrue. Toute infraction de faux dans les titres est donc exclue.

Le Tribunal fédéral se penche ensuite sur l’infraction de gestion déloyale. Il rappelle que la qualité de gérant suppose un degré d’indépendance suffisant et un pouvoir de disposition autonome sur les biens administrés.

In casu, le Tribunal fédéral rappelle que la banque n’intervient ni en qualité de gérant ni en qualité de conseiller en placement. En effet, le contrat conclu est de l’execution only. La banque n’avait dès lors ni le devoir de gérer les biens du client ni celui de la sauvegarde générale de ses intérêts.

Il souligne ensuite que la réalisation des actifs est contractuellement prévue pour protéger les intérêts de la banque dans l’hypothèse où le client n’honorerait pas un appel de marge. La banque n’agissait dès lors pas dans l’intérêt du client en opérant les transactions litigieuses.

La banque n’avait par conséquent pas de devoir de gestion ou de sauvegarde, de sorte que la qualité de gérant au sens de l’art. 158 CP ne peut être retenue.

Partant, le Tribunal fédéral confirme le classement de la plainte pénale.

Cet arrêt soulève deux remarques.

La solution retenue par le Tribunal fédéral nous paraît cohérente. Sous l’angle contractuel, la banque ne doit cependant pas perdre de vue qu’elle est tenue, lors de la réalisation d’actifs nantis, de respecter les règles de la bonne foi – dans la mesure compatible avec ses propres intérêts – et de limiter au maximum la perte du client, même en présence d’une relation execution only (cf. TF 4A_71/2015).

Nous relèverons finalement que le Tribunal fédéral souligne le caractère execution only de la relation entre la banque et le client pour exclure la commission de l’infraction de gestion déloyale. Le résultat aurait-il été différent si le client avait confié un mandat de gestion à la banque ?

Dans un premier temps, lors de l’exécution du mandat de gestion, la banque revêt indéniablement la qualité de gérante. La banque a en effet le devoir de gérer les biens du client. Dans un second temps, celui de la réalisation d’actifs à la suite d’un appel de marge, la banque est en droit de faire primer ses intérêts sur ceux du client. La banque est en effet autorisée à liquider les positions du client selon sa libre appréciation. Cela étant, le mandat de gestion demeure. La dichotomie entre ces deux situations crée, à notre sens, un flou quant à la qualité de gérante de la banque au sens de l’art. 158 CP lors de l’exécution de la sûreté. Au regard de l’arrêt commenté ici, il serait, à notre avis, délicat d’exclure entièrement tout risque de gestion déloyale pour une banque lors de la réalisation d’actifs à la suite d’un appel de marge.