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Reddition de compte

Quelles obligations à charge de celui qui verse des rétrocessions ?

Le Tribunal fédéral a récemment examiné la portée de l’obligation de reddition de compte d’une banque à l’égard de son client, non pas en lien avec des rétrocessions reçues par la banque (une question qui a fait l’objet d’une abondante jurisprudence, cf. cdbf.ch/1145), mais en lien avec les rétrocessions que la banque aurait versées à un tiers (TF 4A_436/2020 du 28 avril 2022).

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre des relations contractuelles qu’une société libanaise (cliente) entretient avec une banque suisse (relation d’execution only) et avec une banque libanaise (relation d’advisory). La banque libanaise disposait d’une procuration sur le compte de la cliente auprès de la banque suisse. En pratique, la cliente donnait des instructions à la banque libanaise, qui les communiquait à la banque suisse.

L’abandon du taux plancher EUR/CHF en 2015 entraîna des pertes substantielles pour la cliente. La banque suisse procéda à un appel de marge suite auquel les comptes de la cliente présentèrent un solde négatif d’environ EUR 430’000. La banque suisse intenta une action en paiement. De son côté, la cliente prit des conclusions en reddition de compte. Le sort de l’action en reddition de compte (hors rétrocessions) est examiné dans un autre commentaire (cf. cdbf.ch/1238/). Le présent résumé se focalise sur le devoir d’information en lien avec les rétrocessions versées par la banque suisse, l’un des points sur lequel portait l’action en reddition de compte de la cliente.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que, selon une jurisprudence civile bien établie et retranscrite en droit réglementaire à l’art. 26 LSFin, il existe un devoir du mandataire de renseigner son mandant sur les rétrocessions que le mandataire a reçues d’un tiers. Toutefois, en l’espèce, l’action en reddition de compte est dirigée contre la partie qui aurait versé les rétrocessions à un tiers, et non pas contre le récipiendaire de celles-ci.

Afin de trancher cette question, le Tribunal fédéral rappelle que l’un des objectifs de l’action en reddition de compte (art. 400 CO) est de permettre au mandant de contrôler l’activité du mandataire. Or, l’information sur les rétrocessions versées ne constitue pas un élément nécessaire au contrôle de l’activité du mandataire et, partant, cette information n’entre pas dans le champ d’application de l’art. 400 CO. La cliente doit donc s’adresser directement à la banque libanaise (qui a reçu les rétrocessions) pour obtenir des informations à ce sujet (en fonction naturellement du droit libanais vraisemblablement applicable à cette relation).

En premier lieu, l’on peut remarquer que cette décision contraste avec la position reflétée dans la Circulaire n° 7578 du 17 octobre 2008 de l’ASB, dans laquelle cette organisation recommandait aux banques d’informer les clients, sur demande, des rétrocessions versées à un gestionnaire de fortune indépendant. Cette Circulaire s’inscrivait toutefois dans un environnement réglementaire différent avec des gestionnaires de fortune indépendants qui n’étaient pas soumis à une surveillance prudentielle (contrairement à la situation qui prévaut désormais sous l’empire de la LEFin).

Par ailleurs, le raisonnement du Tribunal fédéral est basé sur l’objectif de l’action en reddition de compte de droit civil. La question des rétrocessions revêt toutefois aujourd’hui également des dimensions pénale et règlementaire :

  • Sous l’angle du droit pénal, un tiers qui perçoit des rétrocessions sans informer son client peut se rendre coupable de gestion déloyale (art. 158 CP / cdbf.ch/1030), voire potentiellement de corruption privée passive (art. 322novies CP), des infractions pénales qui pourraient, par effet réflexe, également toucher la banque en qualité de potentielle complice (ou coupable de corruption privée active / art. 322octies CP). Afin de diminuer ce risque, il est usuel que la banque mentionne, dans sa documentation-clients, le principe que la banque peut verser des rémunérations à des tiers (par exemple à des gestionnaires de fortune ou des apporteurs d’affaires), ainsi que parfois les fourchettes de calcul des rétrocessions. Par ailleurs, la banque se réserve généralement aussi le droit, dans le contrat avec ces contreparties, de communiquer les montants précis aux clients sur demande de ces derniers.
  • Sous l’angle de la LSFin, plusieurs dispositions imposent à la banque un devoir d’information à l’égard du client. L’art. 16 LSFin prévoit que les prestataires de services financiers rendent notamment compte des coûts liés aux services financiers. Selon nous, les rétrocessions versées à un tiers ne constituent toutefois pas un coût (mais plutôt l’utilisation, par la banque, des revenus perçus qui, quant à eux, représentent des coûts dans la perspective de la clientèle). Par ailleurs, selon l’art. 72 LSFin, le client a droit à la remise d’une copie de son dossier, ainsi que de tout autre document le concernant établi par le prestataire de services financiers dans le cadre de la relation d’affaires. La question de déterminer si, sur la base de l’art. 72 LSFin, la banque doit informer le client sur demande de ce dernier des rétrocessions versées à un tiers semble plus ouverte, même si l’on considère généralement que la portée de l’art. 72 LSFin devrait être alignée sur celle de l’art. 400 CO.

En résumé, si cette jurisprudence apporte des précisions utiles sur le devoir d’information de la banque en cas de versement de rétrocessions à un tiers, il faut souligner que le raisonnement du Tribunal fédéral se fonde sur les obligations qui découlent de l’art. 400 CO et non pas sur d’autres dispositions qui pourraient imposer un devoir d’information plus large à la banque (respectivement l’inciter à fournir une telle information afin de limiter son risque juridique). Cette décision constitue toutefois un précédent bienvenu pour les banques en faisant clairement porter au mandataire direct du client (ici la banque libanaise) la responsabilité de l’information complète sur les rémunérations indirectes qu’il a pu recevoir.