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Vol de données bancaires et blanchiment d’argent

Condamnation d’un ex-employé de banque

Dans un arrêt 6B_45/2021 du 27 avril 2022, le Tribunal fédéral confirme la condamnation (prononcée par défaut) d’un ex-employé de banque – que nous appellerons Albert – pour services de renseignements économiques (art. 273 CP) et blanchiment d’argent (art. 305bis CP).

En résumé, il était reproché à Albert d’avoir, entre 2005 et 2012, collecté et volé des données clients avant de les vendre aux autorités allemandes en été 2012. Il a ensuite, en août 2012, ouvert un compte dans une banque en Espagne et, à une date indéterminée, un autre compte en Allemagne pour y déposer le produit de son crime (soit l’argent obtenu des autorités allemandes). Les fonds – s’élevant à EUR 1’147’000 au moins – ont été utilisés pour l’acquisition, le 15 octobre 2012, d’un bien immobilier en Espagne, objet qu’Albert a ensuite revendu le 14 octobre 2013 avant de faire transférer le produit de la vente sur son compte allemand. Il a tout entrepris pour dissimuler l’existence des comptes bancaires et du bien immobilier en Espagne. Aucune transaction en lien avec ces valeurs patrimoniales n’a (visiblement) été effectuée via ses comptes bancaires suisses. Albert a caché, enveloppées dans une couverture dans le coffre de voiture de sa mère – qu’il utilisait –, des notes contenant des indications sur l’avocat impliqué en Espagne dans l’achat du bien immobilier et le compte bancaire espagnol. Il a également tenté, au moment d’une perquisition à son domicile, de détruire la carte SIM de son téléphone portable qui contenait des informations liées à cette affaire.

Après avoir « validé » la condamnation du recourant en lien avec les conditions et le déroulement de la procédure par défaut, le Tribunal fédéral se penche sur l’infraction de blanchiment d’argent au sens de l’art. 305bis CP.

En premier lieu, les juges de Mon Repos admettent la compétence territoriale du juge suisse à l’égard de cette infraction. Une fois n’est pas coutume, le critère de rattachement territorial n’était pas la présence du produit du crime en Suisse (et, donc, les opérations constitutives d’acte d’entrave sur les valeurs). En revanche, la dissimulation des notes et la détérioration de la carte SIM, qui contenaient des informations sur le produit du crime, constituaient des actes propres à entraver la confiscation dudit produit et avaient été commises en Suisse.

Se posait ensuite la question de savoir si les fonds devaient être considérés comme « confiscables » dans la mesure où ils ne se trouvaient pas – et ne s’étaient d’ailleurs jamais trouvés – en Suisse et celle-ci ne pouvait compter sur l’entraide pénale avec les autorités allemandes pour mettre la main dessus. En effet, à défaut de caractère confiscable de valeurs patrimoniales, il ne peut être question d’acte propre à entraver la confiscation et, donc, de blanchiment d’argent.

Le Tribunal fédéral interprète la notion de « confiscabilité » («  Einziehbarkeit ») de manière abstraite. Il suffit que la Suisse ait une prétention à la confiscation et qu’elle puisse théoriquement demander l’entraide à l’Allemagne. La volonté de celle-ci d’y donner suite n’est en revanche pas nécessaire. Les valeurs patrimoniales déposées en Allemagne sont donc bel et bien confiscables.

Dans un dernier grief, Albert contestait la double punissabilité (en Allemagne et en Suisse) de l’infraction de services de renseignements économiques. Sur ce point, et dans la mesure où il ne ressort pas clairement du jugement attaqué si l’infraction préalable avait été commise en Suisse ou en Allemagne, le Tribunal fédéral retient, pro reo, l’Allemagne, de sorte que, conformément à l’art. 305bis ch. 3 CP, le comportement adopté par Albert doit être punissable selon l’ordre juridique allemand. En l’espèce, dixit les Juges de Mon Repos, il était appréhendé par l’art. 17 de la loi allemande sur la concurrence déloyale, qui, en résumé et à l’époque des faits reprochés, visait l’employé d’une entreprise ayant trahi un secret d’affaires. Que cette norme ne protège pas le même bien juridique que l’art. 273 CP n’influe pas sur la double punissabilité. Il n’est pas davantage, selon le Tribunal fédéral, pertinent qu’au moment de la transmission des données Albert n’était plus « employé de l’entreprise » au sens de l’art. 17 de la loi allemande sur la concurrence déloyale. Il n’est enfin pas non plus nécessaire que les données bancaires concrètement concernées en l’espèce constituent des secrets d’affaires au sens du droit allemand. Il suffit que, tant selon l’ordre juridique suisse qu’allemand, des données clients constituent en principe des secrets d’affaires.

Cette conception très large de la notion de double punissabilité, en particulier s’agissant de la non-concordance, entre droit suisse et droit allemand, sur la qualité de l’auteur visé par la norme pénale, nous semble s’inscrire dans la tendance du Tribunal fédéral qui, de manière générale, interprète généreusement la condition de la double incrimination.

La motivation mérite par ailleurs d’être soulignée dans la mesure où les juges de Mon Repos indiquent que, contrairement à la conception de base de l’art. 305bis ch. 3 CP, qui étend la protection pénale à l’administration de la justice pénale étrangère et, donc, aux prétentions à la confiscation des autorités pénales étrangères, il ne s’agit pas (ici) de défendre des intérêts étrangers mais bien des intérêts nationaux dans la mesure où l’infraction préalable est dirigée contre l’Etat suisse. C’est d’ailleurs, et c’est nous qui faisons le lien, la raison pour laquelle le juge suisse est, conformément à l’art. 4 CP, compétent pour appliquer l’art. 273 CP indépendamment du lieu où les données ont été transmises et de toute double incrimination.