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Réglementation financière

Tour d’horizon du droit de la finance durable

L’actualité de la finance durable semble être en permanente ébullition. Les nouveautés, néologismes et acronymes se succèdent les uns aux autres à un rythme susceptible de donner le tournis. Rien que le 12 octobre dernier – à titre d’échantillon – le G7 exprimait son soutien à toute une série d’initiatives internationales en la matière et la Confédération émettait sa première obligation « verte ». L’actualité juridique et réglementaire n’échappe pas à cette effervescence, et l’on ne compte déjà plus les dizaines de réglementations, rapports, et autres textes qui – heureusement pour la Terre, mais malheureusement pour les juristes – abondent désormais. Le propos de ce commentaire est de prendre un peu de recul, et d’essayer de dresser un état des lieux aussi concis que possible des aspects réglementaires de la finance durable, avec l’espoir de se frayer un chemin parmi cette matière qui se densifie de jour en jour.

On observe ainsi l’émergence de quatre catégories de règles en matière de finance durable :

  • Des règles en matière de transparence et de publication. Elles obligent certaines entreprises à publier des informations relatives à l’impact environnemental de leurs activités, aux risques environnementaux auxquels elles sont confrontées, ou encore à la manière dont elles abordent la transition écologique. Leurs assujetties sont généralement les entreprises cotées en bourse, des entreprises qui dépassent certains seuils, ou des institutions financières. En Suisse, on trouve notamment les 964a ss CO, et, pour les banques et les assurances, les circulaires de la FINMA 2016/1 et 2016/2, récemment modifiées (commenté in cdbf.ch/1191/). En droit européen, le règlement 2019/2088 (SFDR) impose des obligations de ce type aux acteurs des marchés financiers, et une directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) renforcera prochainement les exigences déjà existantes de la directive 2013/34/EU. Aux États-Unis, la SEC entend suivre la même voie.
  • Des règles en matière de nomenclature et de taxonomie, qui définissent les activités qui peuvent être qualifiées de « vertes » et présentées comme telles à des investisseurs. Ces règles ont notamment pour but de prévenir l’écoblanchiment (greenwashing), c’est-à-dire l’affirmation erronée ou trompeuse que certains investissements ont un caractère durable. Souvent, ces réglementations impliquent également des obligations de transparence et de publication comme conséquence de la référence à un caractère durable. En droit suisse, on retrouve la Communication FINMA sur la surveillance 05/2021 (commenté in cdbf.ch/1205/) et l’autorégulation de l’AMAS pour les fortunes collectives se référant à la durabilité (commenté in cdbf.ch/1248/). L’exemple le plus marquant reste toutefois le règlement européen « taxonomie ». La SEC s’y penche elle aussi, dans le contexte d’une révision des règles concernant le nom des placements collectifs.
  • Des règles relatives aux services financiers, qui encadrent la manière dont les questions environnementales doivent être prises en compte au point de vente. En la matière, la Suisse n’en est qu’au stade de l’autorégulation libre, sous la forme d’une directive de l’Association suisse des banquiers concernant l’intégration des critères ESG dans le conseil en placement et la gestion de fortune (commenté in cdbf.ch/1241/). L’Union européenne fait, ici encore, office de pionnière, la Commission européenne ayant déjà amendé certains actes délégués – relatifs, notamment, à MiFID II – dans ce sens.
  • On assiste enfin à la lente apparition de règles substantielles, en vertu desquelles certains acteurs des marchés financiers devraient activement orienter leurs investissements vers des activités durables et encourager la transition écologique chez leurs clients. Si les règles qui précèdent ont une portée essentiellement « formelle », les réglementations de ce type ont une visée « matérielle », dans le sens où elles influeraient directement sur l’allocation et l’utilisation des ressources financières. La première « brèche » en la matière est le projet controversé de Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, désormais soumis par la Commission aux instances législatives européennes.

On le remarque, la règlementation de la finance durable laisse encore la part belle à l’autorégulation. Cela vaut d’ailleurs tant à l’échelle suisse qu’à l’échelle internationale, où l’on retrouve des groupements volontaires comme la Glasgow Financial Alliance for Net Zero ainsi que des standards internationaux comme les recommandations de la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TFCD) ou celles – encore en préparation, mais déjà très attendues – de l’International Sustainability Standards Board. En la matière, la distinction entre réglementation et autorégulation peut cependant se brouiller. Les autorités peuvent ainsi publier et faire la promotion de cadres conceptuels purement volontaires et non contraignants, à l’exemple des Swiss Climate Scores. À l’inverse, la réglementation peut faire référence à des textes d’autorégulation. Un projet d’ordonnance relative au rapport sur les questions climatiques prévoit ainsi que les entreprises concernées pourront mettre en œuvre leurs obligations au sens des art. 964a ss CO en appliquant les recommandations de la TFCD. Si la règlementation financière suisse a toujours laissé une place importante à l’autorégulation, la stratégie consistant à intégrer des standards internationaux au droit suisse par simple renvoi est moins éprouvée et doit donc être maniée avec prudence, ce que nombre d’avis à la consultation n’ont pas manqué de relever.