Aller au contenu principal

Reporting en matière de questions climatiques

L’approche suisse avec l’ordonnance du Conseil fédéral

Le 23 novembre 2022, le Conseil fédéral (CF) a adopté l’ordonnance d’exécution relative au rapport des grandes entreprises suisses sur les questions climatiques. À partir du 1er janvier 2024, le rapport sur les questions climatiques doit être intégré et publié dans le cadre du rapport sur les questions non financières visé aux art. 964a à 964c CO.

I. Champ d’application

Le champ d’application de l’ordonnance du CF est délimité par l’art. 1 al. 1 de l’ordonnance qui renvoie à l’art. 964a CO. Les grandes entreprises suisses doivent remplir, de manière cumulative, les critères suivants :

  • Être des sociétés d’intérêt public ;
  • Atteint au cours de deux exercices consécutifs, au niveau du groupe, un effectif de 500 emplois à plein temps ;
  • Ayant présenté au cours de deux exercices consécutifs, là encore au niveau du groupe, un total du bilan d’au moins CHF 20 millions ou un chiffre d’affaires d’au moins CHF 40 millions.

Le droit suisse diffère du droit de l’UE dont les seuils retenus sont moins élevés. Dans la mesure où les règles suisses ne sont pas considérées comme équivalentes à la nouvelle législation européenne, certaines entreprises suisses ne pourraient pas se prévaloir de la possibilité d’être libérées de l’obligation de divulguer un deuxième rapport selon la nouvelle CSRD (cf. cdbf.ch/1262/).

II. Contenu du rapport

Les informations qui doivent être divulguées dans le cadre du rapport sur les questions climatiques sont visées par l’art. 1 al. 2 de l’ordonnance. Il s’agit, d’une part, d’exposer de manière détaillée l’impact actuel et prévisible du climat sur l’activité commerciale de l’entreprise, et d’autre part, les incidences de cette activité sur le climat. L’art. 1 al. 2 de l’ordonnance concrétise ainsi la « double matérialité » exigée à l’art. 964b, al. 1 et al. 2, ch. 4, CO. Le rapport doit présenter à la fois les conséquences des questions climatiques sur l’entreprise et les effets de l’activité de cette dernière sur le changement climatique. Les informations divulguées doivent également s’appuyer sur « des réglementations nationales, européennes ou internationales  » comme énoncé à l’art. 964b al. 3 CO.

L’art. 2 al. 1 de l’ordonnance du CF présume que l’obligation de rendre compte sur les questions climatiques est satisfaite lorsque le rapport est rédigé selon l’art. 3 de l’ordonnance et repose sur les onze recommandations du groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (TCFD). Les grandes entreprises disposent toujours de la possibilité de choisir d’autres standards internationaux comme référence. Dans ce cas de figure, elles doivent toutefois 1) motiver leur choix et 2) indiquer de manière claire pourquoi les recommandations du TCFD n’ont pas été adoptées (cf. art. 2 al. 2 let. b de l’ordonnance). Compte tenu de l’exigence de motivation du choix d’autres standards, la référence aux recommandations du TCFD deviendrait de facto obligatoire. La présomption de conformité du rapport en se basant sur les recommandations du TCFD pourrait néanmoins s’expliquer par la nécessité de standardisation des informations climatiques et la comparabilité des rapports.

III. Portée de l’obligation de rendre compte sur les questions climatiques

L’étendue de l’obligation de rendre compte sur les questions climatiques doit être relativisée. Le droit suisse n’oblige pas les entreprises à changer leurs pratiques ou leurs politiques internes sur les questions climatiques. L’approche adoptée par l’ordonnance du CF est celle de « comply or explain ». Cela signifie que l’entreprise concernée a certes l’obligation de communiquer les conséquences des questions climatiques sur son activité et les effets de cette activité sur le changement climatique, mais elle n’est pas tenue à prendre des mesures internes ni à améliorer sa gestion des risques climatiques, ni encore à réduire ses émissions de CO2. Dans les faits, le risque réputationnel et le risque de perte d’investissements sont aussi importants qu’ils incitent les entreprises à changer leurs activités afin de réduire leur impact écologique.

IV. Cas particulier des établissements financiers

Pour les établissements financiers, l’obligation de rendre compte va un peu plus loin. En vertu de l’art. 3 al. 5 de l’ordonnance du CF, les établissements financiers doivent prendre en compte des orientations sectorielles et présenter d’analyses prospectives de compatibilité climatique fondées sur des scénarios. Les informations supplémentaires demandées impliqueraient des compétences spécifiques du personnel des établissements financiers, ainsi qu’une augmentation des coûts administratifs. Le droit suisse ne prévoit toutefois pas (encore) d’obligation d’audit climatique par un auditeur externe, contrairement à la nouvelle législation européenne (cf. par ex. ch. 61 de la CSRD).

V. Non-respect de l’obligation de publier un rapport sur les questions climatiques

En cas de non-respect de l’obligation de publier un rapport sur les questions climatiques, la sanction prévue est celle de l’art. 325ter CP qui punit d’une amende pénale de CHF 100 000 au plus toute violation des obligations de rendre compte. Les établissements financiers sous surveillance prudentielle seraient davantage exposés aux risques de diverses sanctions au niveau mondial, ce que l’exemple récent de Goldman Sachs Asset Management sanctionné par la SEC pour non-respect des politiques internes et de procédures en matière d’investissements ESG, l’illustre avec acuité. En Suisse, la LSFin et la LPCC ne contiennent pas de règles spécifiques pour lutter contre le greenwashing (cf. cdbf.ch/1205). A l’heure actuelle, les obligations de transparence sont les seules véritablement contraignantes en Suisse et constitueraient un mal nécessaire pour le changement des pratiques.