Aller au contenu principal

Surveillance en matière de révision

Une garantie bancaire fictive passe inaperçue

Une start-up se fonde sur une garantie provenant d’une banque fictive pour procéder à une augmentation de capital d’environ CHF 30 millions. L’experte-réviseuse en charge de la vérification du rapport d’augmentation ne décèle rien. Le Tribunal administratif fédéral (TAF) y voit un manque manifeste d’esprit critique et confirme le retrait de son agrément – en réduisant cependant sa durée – dans l’arrêt B-2245/2021 du 27 janvier 2023 (entré en force).

En 2016, Caroline – experte-réviseuse agréée – est chargée de la vérification du rapport d’augmentation de capital (de CHF 100’000 à CHF 29’000’000) d’une des filiales de Swiss Space Systems (S3), start-up basée à Payerne et spécialisée dans les navettes suborbitales. Cette augmentation de capital est décidée afin d’assainir le bilan de S3 qui fait face à d’importants problèmes financiers.

Un rapport d’augmentation est soumis à Caroline pour sa vérification, comme l’exige l’art. 652f al. 1 CO. Ce rapport indique en particulier que l’augmentation de capital – d’environ CHF 30 millions – est entièrement garantie par une banque sise à Singapour. En moins de 24h, Caroline signe le rapport. L’augmentation de capital ne suffira finalement pas à sauver S3 ; la société est déclarée en faillite en début d’année 2017.

Une enquête menée par un média local révèle que la banque prétendument émettrice de la garantie bancaire n’existait en réalité pas. La recapitalisation de S3 était fondée sur une garantie bancaire fictive. À la suite de ces révélations, l’Autorité fédérale de surveillance en matière de révision (ASR) ouvre une procédure administrative à l’encontre de Caroline ; la procédure aboutira finalement au prononcé par l’ASR d’un retrait de l’agrément pour une durée de trois ans. Sur recours de la concernée, le TAF doit déterminer (i) si les manquements de Caroline remettent en cause la garantie d’une activité de révision irréprochable et, le cas échéant, (ii) si le retrait de l’agrément prononcé par l’ASR est proportionnel.

Or, une personne physique est agréée en qualité d’expert-réviseur à condition, notamment, d’offrir toutes les garanties d’une activité de révision irréprochable (art. 4 al. 1 LSR). Le respect de l’ordre juridique – non seulement du droit de la révision, mais aussi du droit civil et pénal – fait naturellement partie des exigences requises (cf. l’ATAF 2011/43 sur les différents éléments pris en compte dans l’examen de cette condition).

Examinons à présent les dispositions topiques dont la violation est reprochée à Caroline. L’art. 652f al. 1 CO soumet le rapport d’augmentation de capital à la vérification obligatoire d’un réviseur agréé. Tant que le rapport n’est pas vérifié, le conseil d’administration ne peut pas exécuter l’augmentation de capital.

Quelles sont plus précisément les obligations de vérification du réviseur agréé dans ce cadre ? Il s’agit d’abord de vérifier que le rapport contient bien tous les éléments requis à l’art. 652e CO ; le réviseur doit ainsi attester que le rapport est complet. Quid ensuite de l’exactitude du rapport ? En se fondant sur les normes d’audit suisses (NAS) et plus particulièrement la NAS 240 – relative à la fraude – le TAF précise que le réviseur a l’obligation d’obtenir « l’assurance raisonnable » que le rapport ne comporte pas « d’anomalies significatives provenant de fraudes ou résultant d’erreurs ». À cette fin, le réviseur a l’obligation de « faire preuve d’esprit critique tout au long de l’audit », étant précisé qu’il existera toujours un risque inévitable qu’une fraude ne puisse pas être détectée.

En l’espèce, ce n’est pas le fait de ne pas avoir détecté la fraude qui est reproché à Caroline, mais de ne pas avoir procédé à certaines vérifications élémentaires essentielles. En particulier, elle aurait d’abord dû vérifier l’existence de la banque émettrice de la garantie. À cet égard, l’examen de Caroline s’est limité à une recherche sur internet qui l’a menée au site – factice lui aussi – de la prétendue banque. En réalité, une simple recherche supplémentaire sur le site de l’autorité de surveillance des marchés financiers de Singapour lui aurait permis de réaliser que la banque ne figurait pas sur la liste des établissements bancaires autorisés. En outre, l’ASR reproche à Caroline de n’avoir procédé à aucune vérification quant à la solvabilité de l’émetteur de la garantie bancaire ni quant aux pouvoirs des personnes l’ayant signée. Les circonstances invoquées par l’intéressée – notamment qu’elle aurait agi sous l’emprise de la pression du temps – ne justifient en rien ces manquements.

En définitive, la validation du rapport d’augmentation par Caroline, sur la base des informations lacunaires en sa possession, constitue un manquement grave à ses obligations de vérifications. Selon le TAF, c’est à raison que l’ASR a estimé qu’elle ne présente plus la garantie d’une activité de révision irréprochable.

Sur la proportionnalité de la mesure prononcée par l’ASR, le TAF confirme que le retrait de l’agrément était la seule mesure appropriée, compte tenu de la gravité des faits reprochés. Toutefois, au niveau de la durée de la sanction, le TAF estime équitable de prendre en compte le caractère unique du manquement en cause. Il s’agit en effet du premier cas dans lequel Caroline enfreint ses obligations en matière de révision et rien ne laisse présager qu’elle reproduira un tel comportement fautif à l’avenir. Le TAF conclut donc que l’ASR a outrepassé son pouvoir – large, mais pas illimité – d’appréciation ; la durée du retrait de l’agrément est réduite à deux ans.

En conclusion, cet arrêt permet de mettre en évidence quelques exigences s’agissant des vérifications spécifiques attendues d’un expert-réviseur confronté à une garantie bancaire. En particulier, le réviseur prudent s’assurera d’effectuer des vérifications suffisantes notamment sur l’existence de la banque émettrice, sa solvabilité et les pouvoirs des personnes ayant signé la garantie.

Enfin, sur la question de la proportionnalité de la durée du retrait de l’agrément, mentionnons le récent arrêt B-5528/2019 du 21 mars 2022 dans lequel la durée de la mesure prononcée par l’ASR a été réduite (de 4 ans à 3 ans) pour des motifs similaires à ceux de l’arrêt commenté. Le TAF a vraisemblablement le sens du compromis à l’helvétique.