Naming and shaming
Quelle communication publique par la FINMA ?
Célian Hirsch
Dans une (probablement récente) décision non datée, la FINMA confirme la publication d’un communiqué de presse relatif à la clôture d’une procédure d’enforcement contre un assujetti nommé expressément. Cette décision permet notamment à la FINMA de soutenir qu’une telle publication ne constitue pas une sanction (naming and shaming au sens de l’art. 34 LFINMA), mais uniquement une information au public au sens de l’art. 22 LFINMA.
À la fin d’une procédure d’enforcement, la FINMA informe l’assujetti visé par la procédure qu’elle va publier un communiqué de presse y relatif. Elle lui offre la possibilité d’indiquer s’il existe d’éventuelles erreurs dans le communiqué prévu. L’assujetti ne prend pas position sur le projet de communiqué de presse, mais exige de la FINMA qu’elle y renonce et qu’elle rende une décision sujette à recours.
Dans sa décision (en partie caviardée), la FINMA commence par rappeler le principe ancré à l’art. 22 al. 2 LFINMA : « [l]a FINMA ne donne aucune information sur des procédures particulières ». Après la règle vient l’exception. Ainsi, la FINMA peut communiquer sur une procédure précise si cela répond « à une nécessité dictée par le droit de la surveillance, notamment si la communication a pour but
- de protéger les acteurs financiers ou les assujettis ;
- de rectifier des informations fausses ou fallacieuses, ou
- de garantir la réputation de la place financière suisse. »
La FINMA décèle dans l’information au public un certain effet préventif en plus du but premier d’information. Elle souligne en particulier la distinction entre, d’une part, l’information au public prévue à l’art. 22 LFINMA et, d’autre part, la publication d’une décision en matière de surveillance au sens de l’art. 34 LFINMA (naming and shaming). Cette seconde mesure, adoptée uniquement à la fin d’une procédure, permet à la FINMA de « publier sa décision finale, y compris les données personnelles des assujettis concernés ». En plus de son effet préventif, cette mesure déploie aussi un aspect répressif. Même si la FINMA ne le rappelle pas dans sa décision, le Tribunal fédéral a récemment considéré que cette mesure ne constitue pas pour autant une sanction pénale au sens de l’art. 6 CEDH (ATF 147 I 57, commenté in cdbf.ch/1111/).
Comme l’indique le texte de la loi, les trois exceptions susmentionnées ne sont pas exhaustives. La FINMA considère qu’elle peut communiquer dans l’intérêt du public, dans celui des assujettis ou encore dans son intérêt propre, conformément aux buts de la surveillance des marchés financiers selon l’art. 4 LFINMA. Par ailleurs, une telle communication respecte la LPD, car elle est fondée sur une base légale au sens formel. En tout état de cause, la communication doit respecter le principe de proportionnalité (aptitude, nécessité et proportionnalité au sens étroit).
En l’espèce, l’assujetti soutient qu’il a lui-même annoncé la procédure à la FINMA et que le communiqué de presse saperait le « dialogue de surveillance ». Par ailleurs, il affirme qu’un communiqué de presse fondé sur une décision non définitive serait disproportionné, car il causerait un préjudice irréparable à sa réputation. Enfin, en l’absence d’un besoin particulier en matière de surveillance, une publication n’aurait dû être effectuée que sur la base de l’art. 34 LFINMA.
Les cinq paragraphes de la décision de la FINMA qui répondent à cette argumentation sont malheureusement caviardés. Seul le paragraphe résumant la position de la FINMA est (partiellement) publié. Ainsi, selon l’autorité, le communiqué de presse est de nature à sauvegarder l’intérêt public visé (critère de l’aptitude), lequel ne peut pas être atteint par un autre moyen (critère de la nécessité), et il existe un rapport raisonnable entre l’intérêt public que la FINMA cherche à préserver et les intérêts privés de l’assujetti (proportionnalité au sens étroit).
Cette décision permet d’éclaircir (un peu) la pratique de la FINMA relative à sa communication sur une procédure précise. Cela étant, la distinction entre la communication dans l’intérêt du public (art. 22 LFINMA) et la communication comme mesure de sanction (art. 34 LFINMA) ne convainc pas forcément in casu. Le fait que la communication ne tombe pas dans l’une des trois exceptions mentionnées à l’art. 22 al. 2 LFINMA et qu’elle ait été décidée à la clôture de la procédure penche plutôt en faveur de sa qualification comme du naming and shaming. La partie caviardée permet peut-être de justifier la solution inverse.
Dans une perspective plus large, la FINMA n’aurait nommé qu’à 64 occasions, à travers des communiqués de presse, la personne morale visée par une procédure, alors qu’elle a rendu plus de 500 décisions. Cette pratique diffère de celles des autorités étrangères, qui publient presque systématiquement le nom des sociétés visées par leurs procédures (cf. Gava Roy [2021], Challenging the regulators : Enforcement and appeals in financial regulation, Regulation & Governance). Concernant les personnes physiques, la FINMA ne les a pour l’instant jamais directement nommées, avec pour seule exception un ancien CEO d’une banque.
À notre avis, le fait de ne communiquer que de manière exceptionnelle l’identité de la personne (physique ou morale) visée par la procédure correspond non seulement à l’intention du législateur exprimée à travers l’art. 22 al. 2 LFINMA, mais aussi à la conception suisse selon laquelle la publication d’une sanction constitue une sanction supplémentaire en soi (cf. ATF 147 I 57 consid. 4.2). Il nous semble qu’une telle retenue dans la communication de la FINMA est ainsi justifiée. Cela étant, l’autorité a récemment demandé de pouvoir communiquer davantage. Il faudra encore patienter avant de pouvoir juger si la débâcle du Credit Suisse convaincra le Parlement de lui octroyer un plus grand pouvoir en matière de communication.