Le comité de détermination de l’ISDA a tranché
Aucune intervention gouvernementale constitutive d’un événement de crédit n’a eu lieu pour les Credit Default Swaps sur les obligations subordonnées de Credit Suisse
Jean-François Mion
Toutes les conséquences du sauvetage de Credit Suisse ne sont évidemment pas encore connues. Entre le 16 et le 19 mars dernier, le Conseil fédéral, la BNS, la FINMA et les conseils d’administration d’UBS et Credit Suisse ont pris les décisions ayant permis la fusion des deux banques (cf. https://cdbf.ch/1272/).
La BNS a consenti des prêts extraordinaires à Credit Suisse, garantis par deux crédits de la Confédération. Un premier crédit d’engagement urgent a été octroyé sous la forme d’une garantie du risque de défaillance à concurrence de CHF 100 milliards, pouvant être sollicité à la clôture d’une procédure de faillite et en cas de défaillance de la BNS. Un deuxième crédit d’engagement urgent a été consenti sous la forme d’une garantie contre les pertes liées aux actifs à liquider à concurrence de CHF 9 milliards.
Ces crédits d’engagement ont été accordés sur la base de l’ordonnance sur les prêts d’aide supplémentaires sous forme de liquidités et l’octroi par la Confédération de garanties du risque de défaillance pour les prêts d’aide sous forme de liquidités de la Banque nationale suisse à des banques d’importance systémique du 16 mars 2023.
Conformément à l’art. 5a introduit par l’ordonnance révisée du 19 mars, la FINMA a ordonné à Credit Suisse d’amortir totalement les obligations subordonnées Additional Tier 1 (AT1).
L’octroi de ces crédits d’engagements et l’ordonnance de la FINMA ont entraîné un amortissement total des obligations AT1 d’un montant nominal d’environ CHF 16 milliards conformément à la section 7(b) de leurs conditions, déclenché en cas de Viability Event (section 7(a)(iii)). Cet événement est caractérisé en cas de notification du régulateur (notamment s’il détermine qu’un amortissement des obligations est une exigence essentielle pour empêcher la faillite) ou de soutien public extraordinaire.
Certains acheteurs de credit default swaps (CDS) sur les obligations subordonnées de Credit Suisse attendaient ainsi de savoir si un événement de crédit s’était produit, ce qui leur aurait permis d’être indemnisés par leurs vendeurs de protection.
Dans ce cadre, l’Europe Middle East & Africa Credit Derivatives Determinations Committee (DC) de l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) a reçu une requête le 11 mai, visant à établir si une intervention gouvernementale constituant un événement de crédit au titre de la section 4.8 des définitions 2014 ISDA Credit Derivatives Definitions a eu lieu. Cette requête a été adressée quelques jours avant la fin du délai de prescription de 60 jours (la look-back period), débutant à compter de l’événement de crédit supposé, la Credit Event Backstop Date de la section 1.39.
Rappelons que l’intervention gouvernementale en tant qu’événement de crédit a été introduite dans les nouvelles définitions 2014 en remplacement des anciennes définitions 2003, par suite du bail-out de la banque néerlandaise SNS en 2013. Le cas de mandatory cancellation des obligations de références a également été ajouté à cette occasion sous la section 4.8(a)(iii) des définitions afin de couvrir expressément les cas d’amortissement total des obligations entraînant leur annulation.
Le rôle du DC est de mettre en perspective les faits relatifs à des événements spécifiques avec les définitions 2014 et d’établir si un événement de crédit s’est produit selon la demande du requérant, décision obligeant les contreparties (section 10.2).
Le DC a statué les 16 et 17 mai pour décider qu’aucune intervention gouvernementale constitutive d’un événement de crédit n’a eu lieu. Cette décision est basée sur le niveau de subordination des obligations AT1 par rapport à l’obligation de référence des CDS sur les obligations subordonnées de Credit Suisse, notamment compte tenu de la section 4(a) de leurs conditions. En l’espèce, le DC a précisé que l’obligation de référence était également une obligation subordonnée émise en 2000 et arrivée à échéance en 2020, mais dont il a estimé qu’elle était senior par rapport aux obligations AT1.
Le DC n’a pas eu à considérer si une intervention gouvernementale au titre des définitions 2014 s’était produite, dans la mesure où sa décision se fonde sur l’exclusion des obligations AT1 du périmètre du CDS. Notons enfin que le DC a verbalisé qu’il n’a pas déterminé si les obligations AT1 constituent de la Borrowed Money au titre des définitions 2014 – peut-être a-t-il souhaité laisser une porte ouverte.
Conformément aux 2018 Credit Derivatives Determinations Committees Rules, le DC ne pourra pas statuer de nouveau sur cette question précise, sauf révélation d’une nouvelle information (section 2.5(b)).
Une nouvelle requête a été introduite et acceptée le 18 mai, soit un jour avant la fin de la look-back period, visant à établir cette fois si une faillite constituant un événement de crédit au titre de la section 4.2 des définitions 2014 a eu lieu. A la différence de la précédente, cette requête porte à la fois sur les obligations senior et subordonnées. Affaire à suivre.