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Révision du dispositif anti-blanchiment

Bis repetita, sanctions pécuniaires et transparence

L’avant-projet du Conseil fédéral portant révision du dispositif anti-blanchiment et mis en consultation le 30 août est, pour partie, du déjà-vu. Rappelons en effet que, lors de la dernière modification de la loi sur le blanchiment d’argent (LBA) – entrée en vigueur il y a moins de neuf mois –, une majorité parlementaire avait sèchement refusé l’assujettissement à la LBA de certaines activités liées à la création et la gestion de sociétés de domicile ou de trusts. Comme indiqué par le représentant du Conseil fédéral lors des débats parlementaires, on aurait toutefois eu tort de considérer le sujet clos. Le Conseil fédéral est revenu à la charge mais, et c’était à prévoir, la nouvelle mouture, qui colle davantage aux recommandations internationales, est plus incisive et aboutie que la précédente. Le cercle des activités de conseil soumises à l’arsenal anti-blanchiment s’est élargi. Premièrement, ce ne sont plus uniquement des prestations liées à des sociétés de domicile qui sont concernées mais celles relatives à des sociétés en général, soit y compris des sociétés opérationnelles (art. 2 al.  3bis let. b à e et al. 3ter AP-LBA). Secondement, les conseils juridiques ou comptables en matière d’achat ou vente d’un immeuble sont également assujettis à la LBA (art. 2 al. 3bis let. a AP-LBA). La surveillance est assurée par un organisme d’autorégulation (OAR ; art. 12 let. d AP-LBA).

Lorsque les activités susmentionnées sont exercées par un avocat assujetti à la loi sur la libre circulation des avocats (LLCA), l’AP-LBA prévoit d’ancrer les obligations LBA – avec mesures disciplinaires à la clé – dans cette loi, qui constituera donc une lex specialis par rapport à la LBA (art. 13a à 13e et 17a AP-LLCA). Une disposition exempte les avocats des obligations de diligence LBA lorsque la prestation est effectuée dans le cadre d’une procédure (art. 13a al. 2 AP-LLCA). Deux clauses réservent – comme le droit actuel le prévoit déjà pour l’avocat soumis à la LBA du fait de son activité d’intermédiaire financière (art. 9 al. 2 LBA) – le secret professionnel en dérogation à l’obligation de communiquer (art. 13e al. 2 AP-LLCA et 9 al. 2 AP-LBA). En résumé, le système prévu est le suivant : l’avocat est soumis à des obligations de diligence LBA lorsqu’il effectue une prestation au sens de l’art. 2 al. 3bis et 3ter AP-LBA, qui peut ressortir de l’activité typique ou atypique de l’avocat. Ces devoirs ne sont toutefois pas applicables lorsque la prestation – qui relève alors nécessairement de l’activité typique de l’avocat – s’inscrit dans le cadre d’une activité de représentation en justice (quelques précisions à tout le moins temporelles à cet égard seraient bienvenues). S’agissant, en revanche, de l’obligation de communiquer, le secret professionnel s’oppose à toute transmission au MROS d’informations obtenues dans le contexte de l’activité classique de l’avocat, y compris le conseil. La surveillance est assurée par l’autorité de surveillance des avocats (art. 14 AP-LLCA).

À noter qu’une autre mesure qui avait été refusée par le Parlement a été remise sur le tapis, soit l’abaissement du seuil de CHF 100’000.- à CHF 15’000.- pour l’assujettissement des négociants en métaux précieux et pierres précieuses au dispositif anti-blanchiment (art. 8a al. 4 AP-LBA). La présente révision y ajoute ceux qui négocient des immeubles, sans limite de seuil pour le paiement en espèces (art. 8a al. 4bis AP-LBA).

Sur le plan des nouveautés, une modification significative de la LBA anticipe un changement probable de jurisprudence, suite à un « fair warning » du Tribunal fédéral dans son rapport de gestion 2021 (p. 16) : les sanctions – notamment pécuniaires – prises par les OAR, qui étaient jusque-là ancrées dans les règlements de ces organismes et considérées comme du droit privé, sont désormais prévues dans la LBA et relèveront donc du droit public (art. 19 AP-LBA). Diverses mesures administratives sur le modèle des art. 30 ss LFINMA sont prévues. En cas de violation grave ou répétée des obligations LBA par l’affilié – soit un intermédiaire financier au sens de l’art. 2 al. 3 LBA ou un conseiller –, l’OAR en informe le Département fédéral des finances (DFF) qui peut notamment prononcer des sanctions pécuniaires allant jusqu’à CHF 100’000.- (art. 19b AP-LBA). En d’autres termes, selon l’avant-projet du Conseil fédéral, des sanctions pécuniaires pour violations des obligations de diligence LBA peuvent être prononcées sur la base du droit public à l’encontre d’un intermédiaire financier au sens de l’art. 2 al. 3 LBA ou d’un conseiller, mais non – en tout cas pas en l’état juridique actuel – d’un intermédiaire financier soumis à la surveillance de la FINMA.

Par ailleurs, ou plutôt en premier lieu selon l’ordre choisi par le Conseil fédéral, la révision – sans surprise au vu de l’évolution internationale – prévoit l’introduction d’un registre fédéral des ayants droit économiques, par le biais d’une nouvelle loi sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques (AP-LTPM).

Sous réserve de quelques exceptions, les personnes morales de droit privé suisse et certaines entités étrangères présentant un lien particulier avec la Suisse seront dans l’obligation d’identifier les personnes physiques qui, selon les définitions posées par la loi, doivent être considérées comme leurs ayants droit économiques (art. 2, 4, 5 et 6 AP-LTPM). Les informations seront consignées dans un registre électronique tenu par le Département fédéral de justice et police (DFJP), accessible aux autorités, ainsi que, pour les besoins de la lutte anti-blanchiment, aux intermédiaires financiers, aux conseillers et aux avocats soumis aux obligations LBA (art. 18 ss, 25 et 28 AP-LTPM). La violation des obligations imposées par la loi sera punie, conformément aux dispositions du droit pénal administratif, d’une amende pouvant atteindre un demi-million de francs (art. 41 ss AP-LPTM).

Enfin, la novelle prévoit un élargissement de l’objet de la LBA, qui mentionnerait désormais la prévention de violations des mesures de coercition fondées sur la loi sur les embargos (LEmb) (art. 1 et 8 AP-LBA).

La procédure de consultation dure jusqu’au 29 novembre 2023.