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Trust suisse

Une occasion manquée

Le Conseil fédéral vient d’annoncer qu’il ne souhaite pas poursuivre les travaux sur la création d’un trust de droit suisse. Le dernier mot reviendra à l’Assemblée fédérale, qui pourrait refuser de classer la motion de 2018, mais un tel refus est improbable. Pourquoi ce projet a-t-il échoué ? Était-il inutile ?

On aurait pu craindre que l’introduction du trust comme institution du droit privé suisse, inscrite dans le code des obligations sans être un contrat, soit rejetée comme trop étrangère à notre ordre juridique. Les résultats de la consultation publique montrent que ce n’est pas le cas. Une majorité des prises de position qui s’expriment sur le volet civil de l’avant-projet sont favorables sur le principe. Il y a bien sûr des voix critiques, mais elles se partagent assez également entre l’expression d’un scepticisme de principe et des appels à un trust plus audacieux, plus libéral.

Comme on pouvait l’anticiper, c’est le volet fiscal qui a tué l’avant-projet de 2022. Le Conseil fédéral considérait qu’il serait politiquement impossible d’introduire le trust dans le droit matériel suisse sans consacrer dans la législation fiscale un régime qui procure plus de sécurité juridique et respecte mieux les principes de légalité et de capacité contributive.

La montagne a accouché… d’une montagne. Un groupe de travail réuni par le Département fédéral des finances avait identifié sept options, chacune avec deux variantes. Aucune n’a recueilli de consensus. (Leur discussion occupe 15 pages dans le rapport explicatif !) L’administration a finalement choisi la solution la plus pénalisante pour les trusts discrétionnaires irrévocables, que ceux-ci soient d’ailleurs soumis au droit suisse ou à un autre droit. Une forte majorité des avis exprimés dans la consultation rejettent la solution proposée, les organisations économiques indiquant clairement leur refus de soutenir la proposition d’un trust suisse si c’est au prix d’un pareil bouleversement de la fiscalité des trusts.

Est-il possible de mieux faire sur le volet fiscal ?

D’autres approches que celles soumises au Conseil fédéral sont envisageables. Elles reposent sur le principe que les impôts sur le revenu, la fortune et les donations et successions ne concernent que les settlors et les bénéficiaires assujettis à la fiscalité suisse. Pour ceux-ci, la création d’un trust (quel que soit le droit qui le régisse) devrait être envisageable sans incidence fiscale majeure. Plus précisément, pour un settlor et des bénéficiaires domiciliés en Suisse, la création d’un trust ne devrait, dans la durée, ni créer de surcoût ni procurer d’avantage fiscal significatifs. Des modèles ont déjà été esquissés et discutés à cet effet, mais pas à Berne. Il faudrait maintenant les explorer pour formuler des propositions qui soient acceptables autant pour la Confédération et les cantons que pour les intéressés. C’est possible, il y faut une volonté politique qui pour le moment semble faire défaut.

La décision du Conseil fédéral, si elle est suivie par le parlement, rend-elle inutile les quatre années de travail dont le résultat semble devoir être classé sans suite ? Non. Même si une solution fiscale reste à inventer, il est désormais acté que l’ajout du trust aux institutions du droit privé suisse est acceptable et n’enfreint aucun principe fondamental. En outre, les craintes de mettre la Suisse en difficulté au GAFI ou au Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales ne se sont pas avérées. Du reste, l’obligation pour tous les trustees d’identifier et documenter les ayants droit économiques d’un trust, qui figurait à l’art. 529j de l’avant-projet sur le trust, se retrouve en substance à l’art. 16 du tout récent avant-projet de loi sur la transparence des personnes morales (K. Villard, cdbf.ch/1300/), qui renonce à créer un registre public pour les trusts.

Le coup de frein donné au trust suisse va-t-il servir, à tout le moins, à favoriser favoriser les fondations de famille et permettre les fondations d’entretien, comme le réclame la motion Burkart « Renforcer les fondations de famille suisse en supprimant l’interdiction des fondations d’entretien » ? La motion ne vise qu’une modification de l’art. 335 al. 2 CC. Sans réforme, la fiscalité des fondations d’utilité privée reste très dissuasive. Dans son rapport proposant l’abandon du projet trust suisse, le Conseil fédéral confirme d’ailleurs son rejet de la motion Burkart. « L’objectif qu’elle poursuit n’est pas susceptible d’obtenir une majorité à l’heure actuelle, eu égard notamment à ses effets dans le domaine fiscal. »

Il reste que le droit suisse n’offre toujours pas aux Suissesses et aux Suisses une palette adéquate d’instruments permettant de structurer et de transmettre un patrimoine sur le long terme. Très libéral, notre droit international privé permet de recourir aux véhicules offerts par de nombreux autres ordres juridiques, mais ces solutions ne sont pas à la portée de la plupart de celles et ceux qui pourraient les souhaiter, et elles se heurtent à une fiscalité pénalisante. La décision du Conseil fédéral d’interrompre les travaux sur le trust suisse n’est pas un enterrement, mais elle invite à entamer une réflexion plus globale sur les instruments manquants.