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Special purpose acquisition company

Le De-SPAC vu de l’œil de la COPA

Dans une décision 858/01 du 1er novembre 2023 dans l’affaire VT5 Acquisition Company AG, la Commission des OPA (COPA) a été amenée à établir sa pratique en matière de De-SPAC (opération par laquelle un Special Purpose Acquisition Company (SPAC) acquiert sa cible). Cette décision était attendue compte tenu du fait que VT5 Acquisition Company AG (VT5) est le premier SPAC de droit suisse.

Avant toute chose, pour un bref rappel sur ce qu’est un SPAC et ses spécificités, il sied de consulter le FAQ de la SIX et la décision 782/01 du 19 mars 2021 dans l’affaire VT5 Acquisition Company AG.

Le 2 octobre 2023, VT5 a annoncé être dans des discussions avancées concernant l’acquisition de R&S Group, un fournisseur de produits électriques. Il était en outre indiqué qu’une acquisition de R&S Group était attendue pour la fin 2023. Le 10 octobre 2023, VT5 a déposé, dans la foulée, une requête auprès de la COPA visant à clarifier les règles applicables à son opération de De-SPAC.

Dans sa requête, VT5 a indiqué avoir entrepris des discussions avec plusieurs de ses actionnaires importants afin de les faire signer des lettres d’engagement. Il était question pour la société d’accroître les chances de l’approbation du De-SPAC et de toute mesure nécessaire à cette fin, d’éviter l’exercice de leur droit de rétractation (redemption right) et de confirmer leur volonté de souscrire des actions supplémentaires afin de maintenir leur participation.

Ainsi, VT5 a d’abord demandé à la COPA de confirmer que les investisseurs qui signeraient des lettres d’engagement ne pourraient pas être considérés comme un groupe d’actionnaires soumis à l’obligation de présenter une offre en cas de dépassement du seuil de 33⅓ % des droits de vote (art. 135 al. 1 LIMF). Enfin, même si les investisseurs devaient être qualifiés de groupe d’actionnaires, il conviendrait de prévoir une dérogation à l’obligation de présenter une offre fondée sur les art. 136 LIMF et 41 OIMF-FINMA.

La COPA a commencé par analyser la clause d’opting-out prévue dans les statuts de VT5, arrivant à la conclusion qu’il s’agissait d’une clause d’opting-out doublement sélective. En effet, cette clause d’opting-out ne s’appliquait qu’à VT5 et spécifiquement en cas d’acquisition d’actions dans le cadre de l’exercice du droit de rétractation des investisseurs. D’emblée, la COPA a donc constaté que les investisseurs importants qui signeraient une lettre d’engagement ne pourraient pas se prévaloir de cette clause. Ensuite, la COPA a rappelé les conditions à remplir pour retenir un groupe d’actionnaires, à savoir (i) une concertation sur le comportement ; (ii) avec pour objet l’acquisition ou l’exercice de droits de vote ; et (iii) en vue de dominer la société.

En l’espèce, les actionnaires importants ne se concertaient pas directement ensemble. La COPA a néanmoins considéré que VT5 agissait comme médiatrice, puisque chaque actionnaire concluait un contrat avec la même contrepartie. Bien qu’ils n’aient pas de contacts directs entre eux, une concertation devait être retenu. Les lettres d’engagement prévoyaient également que les signataires approuveraient la transaction et souscriraient à des actions supplémentaires en cas de besoin. La seconde condition était donc remplie. Enfin, le critère de la domination est notamment reconnu lorsque les actionnaires se concertent en vue d’influencer la stratégie de la société. Ici, le De-SPAC était un élément central de la stratégie de VT5 (puisqu’il s’agissait de son but principal). Le critère de la domination était donc aussi rempli. Sur ces bases, la COPA a retenu que la signature des lettres d’engagement mènerait à la constitution d’un groupe d’actionnaires soumis à l’obligation de présenter une offre en cas de dépassement du seuil de 33⅓ % des droits de vote.

La COPA s’est ensuite interrogée sur la possibilité d’accorder une dérogation à l’obligation de présenter une offre. Cela, car le principe de l’offre obligatoire vise à protéger les actionnaires minoritaires en cas de changement de contrôle qu’ils jugeraient préjudiciable à leur intérêt. Dans certaines circonstances, une telle obligation peut s’avérer être contre-productive, raison pour laquelle le législateur a octroyé à la COPA la possibilité d’octroyer des dérogations. Selon la COPA, dans le cadre d’un SPAC, les actionnaires minoritaires disposent déjà d’un droit de sortie par l’entremise du droit de rétractation. Les investisseurs sont d’ailleurs informés de ce droit à plusieurs stades. La signature des lettres d’engagement n’a pas non plus d’influence sur ce droit. Au contraire, par la communication au public des signataires, les autres actionnaires sont d’autant plus informés sur l’issue de la votation à venir et peuvent voter et éventuellement exercer leur droit de rétractation en toute connaissance de cause. Dans de telles circonstances, la COPA est arrivée à la conclusion que toutes les conditions d’une dérogation étaient réunies.

Dans cette affaire, la COPA montre que celle-ci peut faire preuve du pragmatisme nécessaire pour arriver à la solution la plus souhaitable pour les investisseurs. Il est peu usuel que la COPA fasse usage de la clause générale de l’art. 136 al. 1 LIMF. Cette décision en démontre l’utilité. Il est vrai que le principe de l’offre obligatoire a été instauré dans l’unique but de protéger les actionnaires contre des changements de contrôle. Néanmoins, lorsque la structure d’investissement est organisée d’une telle sorte que les actionnaires se voient octroyer un droit de rachat inconditionnel et que ceux-ci sont très largement informés des perspectives à venir, il est selon nous tout à fait correct de retirer cette protection. Par cette décision, la pratique de la COPA en matière de SPAC est désormais établie. Les éventuels futurs SPAC suisses pourront ainsi se développer en connaissance des règles auxquelles ils seront soumis.