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Credit Suisse

Aveu d’impuissance de la FINMA

Le 19 décembre 2023, la FINMA rendait public son rapport au sujet de Credit Suisse. Celui-ci aborde le contexte de la chute (I.) pour en tirer des « enseignements » (II.).

I. En 1856, Alfred Escher participe à la création d’une entreprise qui s’illustre dans les crédits commerciaux. La Schweizerische Kreditanstalt emprunte auprès de Paul ou Virginie à un taux inférieur à celui auquel elle prête à « Rail » ou « Wagon SA », et s’enrichit sur le différentiel d’intérêts. De fil en aiguille, la banque investit la gestion d’actifs et de fortune. Au gré de fusions et acquisitions, elle s’internationalise : Credit Suisse ne veut plus être locale, elle se rêve globale. Ce changement d’envergure emporte son lot de satisfactions, de déconvenues et de joyeuses rémunérations. Puis les affaires se dégradent. Pertes, errements stratégiques, réorganisations coûteuses, gouvernance hasardeuse et scandales à répétition ébranlent la confiance des clients. Les marchés tanguent à cause de la déconfiture de Silicon Valley Bank et de Signature Bank lorsqu’une déclaration maladroite de l’actionnaire principal précipite le naufrage du bateau ivre. Le dimanche 19 mars 2023, UBS rachète sa rivale, sur injonction du Conseil fédéral. Le prix, qui défie toute concurrence, en respecte les règles (cf. LCart 10 III). L’ordre juridique devra néanmoins compter avec des « innovations à profusion ». Ironie du destin, la gagnante du jour fut elle-même sauvée in extremis hier. Comment ne pas y voir une menace pour demain ? Levons, un instant, le nez du guidon.

  • En 1933, lorsque Paul et Virginie s’en venaient, inquiets, réclamer leur dépôt au guichet, tout établissement bancaire était embarrassé : les fonds se trouvaient immobilisés dans les rails ou les wagons. En même temps, le bank run avait ses limites physiques : il fallait faire la queue au coin de la rue, ce qui laissait à la banque l’espoir de fermer à 17h00. X (anciennement Twitter) ne relayait pas la presse pour diffuser l’information en continu.
  • En 2023, les choses ont changé : un clic suffit aux clients de Credit Suisse pour transférer leurs dépôts (passif de la banque) ailleurs en Suisse ou à l’étranger. Or, à l’actif, les fonds sont toujours bloqués (dans la fibre optique ou la blockchain…). Le « digital bank run  », version moderne de ce phénomène auto-réalisateur, est plus dévastateur encore que son prédécesseur. Le numérique en accentue la fulgurance. C’est pour moi l’enseignement principal de l’année bancaire 2023. Au reste, les problèmes ne datent pas d’hier.

II. S’agissant des enseignements que tire la FINMA, listons en six.

  1. Si l’autorité rappelle qu’elle n’a pas vocation à se substituer au conseil d’administration, elle analysera « plus systématiquement encore à l’avenir » les risques liés aux réorientations stratégiques des établissements qu’elle surveille. Elle mettra en particulier l’accent sur le potentiel de pertes. Des fonds propres supplémentaires seront exigés pour couvrir les risques élevés (cf. LB 4 III, OFR 45 et 131b). Cette mesure pourrait nécessiter une modification du droit.
  2. Dans la gestion des risques, la FINMA utilisera, là aussi, « plus systématiquement encore » la possibilité d’exiger des fonds propres supplémentaires. Elle relève en passant qu’une telle mesure ne palliera jamais les défauts de gouvernance d’entreprise.
  3. Credit Suisse SA, maison-mère, était la moins bien dotée du groupe en fonds propres. L’autorité déplore que deux modifications législatives récentes aient entravé sa capacité à traiter ce problème (not. OFR 125, pour des précisions, cf. p. 58-65). Elle demandera donc des ajustements lors de la révision des règles « Too Big to Fail ».
  4. Face au problème de gouvernance (ou des responsabilités mal définies), la FINMA réclame (i) la mise en place d’un senior managers regime (sur la notion, cf. p. 86), (ii) la compétence de prononcer des amendes et (iii) le droit de « communiquer ouvertement » sur les procédures d’enforcement. Il faudrait donc modifier la loi.
  5. L’autorité de surveillance continuera de faire pression sur les « rémunérations variables abusives ». Pour autant, elle ne préconise pas d’intervention législative.
  6. A l’été 2022, Credit Suisse, dont les agences de notation avaient dégradé la note, répondait encore aux exigences en matière de liquidités. A l’automne, une rumeur sur la débâcle d’une « importante banque d’investissement » entraîna un retrait de dépôts « sans précédent ». Les clients, fortunés, de la division Wealth Management pratiquèrent la première saignée, que la clientèle de détail aggrava avant l’arrivée du printemps 2023. La FINMA intervint, à plusieurs reprises. Elle exigea notamment des estimations « plausibles » au sujet de l’évolution de la situation sans obtenir des réponses d’une « qualité suffisante » (p. 71).

Après le départ du dirigeant controversé B. Dougan (2007-2015), T. Thiam (2015-2020), T. Gottstein (2020 à 2022) et U. Körner (2022-2023) n’ont pas su regagner la confiance des investisseurs. Faute d’avoir mis en œuvre une stratégie cohérente, ils portent une responsabilité collective de premier plan dans le fiasco. La Suisse a coutume de reléguer l’intervention de l’Etat au second plan dans le secteur financier. La FINMA se défend d’avoir failli dans sa mission : elle égrène dans son rapport les mesures qu’elle a prises contre Credit Suisse. Depuis 2012, elle a « clôturé » 14 procédures d’enforcement et déposé 16 plaintes pénales. Entre 2018 et 2022, elle a effectué 108 contrôles sur place et identifié 382 points à régler. Selon elle, « [c]es chiffres illustrent clairement les limites des compétences légales de la FINMA ainsi que de l’activité de surveillance même lorsqu’elle atteint son intensité maximale ». C’est un peu court, mais que pouvions-nous espérer de cet exercice d’auto-critique ? Lorsque l’autorité dit avoir usé de tous les moyens que lui offrait la réglementation bancaire, son affirmation sonne comme un terrible aveu d’impuissance. On peut aussi, me semble-t-il, lire entre les lignes qu’elle a par moments manqué de fermeté. En toute hypothèse, le pire a été évité : la reprise de Credit Suisse par UBS était la moins mauvaise des options disponibles à la mi-mars. L’opération a stoppé l’hémorragie et stabilisé le système financier. Reste que le risque est désormais trop grand pour notre petit pays. Quand l’histoire se répètera (une « surveillance de type ‘casco complète’ des établissements financiers est impossible », p. 43), nous n’aurons plus le luxe d’un autre repreneur local. Il faut donc en infléchir le cours sans tarder, ce qui exige réflexions et courage politique. Affaire à suivre.