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Lutte contre le blanchiment

Violation de l’obligation de communiquer et responsabilité du Conseil d’administration

Dans un arrêt 6B_1176/2022 du 5 décembre 2023, le Tribunal fédéral annule l’acquittement du chef de violation de l’obligation de communiquer au sens de l’art. 37 al. 2 LBA, prononcé par la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral à l’égard de l’ancien président du Conseil d’administration d’une banque.

La trame est la suivante. Albert était le président de la direction (CEO) d’une banque du 1er septembre 2008 au 30 septembre 2012, avant d’en devenir le président du Conseil d’administration du 1er octobre 2012 au 31 mars 2016.

En 2007, la banque est entrée en relation avec Daniel, homme politique et d’affaires russe. La banque a ouvert pour lui de nombreux comptes bancaires au nom de sociétés de domicile, avec Daniel ou ses fils désignés comme ayants droit économiques. Daniel a tout de suite été qualifié de client « à risques accrus ». A partir de 2010, divers évènements ont rendu la relation d’affaires suspecte. Les cadres compétents au sein de la banque, en particulier Bernard, le « Responsable Compliance et Contrôle de l’exploitation commerciale », ont procédé à des investigations et maintenaient la relation d’affaires sous surveillance accrue, mais aucune communication au MROS n’a été effectuée.

Albert, en sa qualité de CEO, était au courant de la situation et de son évolution.

En juillet 2013, la banque a reçu du Ministère public genevois deux ordonnances de séquestre de documentation bancaire et une décision d’entrée en matière sur une demande d’entraide internationale de la Russie. Selon cette dernière décision, l’enquête russe mettait en exergue la possible implication de Daniel dans un important détournement de fonds commis en Russie et deux transactions suspectes en lien avec cette affaire qui se seraient déroulées au sein de la banque. Cette dernière a transmis au Ministère public les pièces utiles.

En automne 2013, dans le cadre d’une procédure pénale ouverte à Genève cette fois, la banque a reçu des ordonnances de séquestre de la documentation bancaire et des avoirs en compte liés à Daniel. Les documents ont été transmis au Ministère public genevois. L’état de fait retenu par le Tribunal fédéral précise encore que « [t]outes les relations bancaires dont [Daniel] et ses fils étaient ayants droit économiques étaient connues des autorités au 18 octobre 2013 ». La procédure pénale ouverte contre Daniel en Suisse a été classée en 2017.

Aucune communication au MROS n’a finalement été effectuée.

Par prononcé pénal du 19 août 2020, le Département fédéral des finances a condamné Bernard pour violation intentionnelle de l’obligation de communiquer, commise du 28 janvier 2011 au 18 octobre 2013, et Albert pour violation par négligence de l’obligation de communiquer, commise du 29 mars 2011 au 18 octobre 2013.

Il sera suivi par la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral, mais non par la Cour d’appel du même tribunal qui acquitte Albert.

Dans son arrêt du 5 décembre 2023, le Tribunal fédéral confirme la condamnation de Bernard et admet le recours du Département fédéral des finances contre l’acquittement d’Albert.

S’agissant de ce dernier, le Tribunal fédéral note tout d’abord que, selon la Cour d’appel, pour la période du 29 mars 2011 au 30 septembre 2012, durant laquelle Albert occupait la fonction de CEO et où il était alors, conformément aux directives internes de la Banque, responsable de l’annonce au MROS avec le département Compliance, les faits sont prescrits.

En ce qui concerne la période où Albert était président du Conseil d’administration, le Tribunal fédéral relève qu’à ce titre il n’était plus le responsable direct de l’annonce au MROS.

Mais, continue notre Haute Cour, il occupe toutefois une position de garant qui le rend responsable des infractions commises par un subordonné, pour autant qu’une négligence puisse lui être reprochée (art. 6 al. 2 DPA).

Cette responsabilité trouve sa source à l’art. 716a al. 1 ch. 5 CO qui charge le Conseil d’administration de la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion. Citant la doctrine, le Tribunal fédéral relève que, si le Conseil d’administration peut déléguer certaines fonctions de surveillance, ses membres continuent d’assumer un contrôle approprié quant à la bonne exécution des tâches déléguées.

Le nerf de la guerre réside dans « l’intensité » de la surveillance exigée du membre du Conseil d’administration. La Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral a jugé qu’Albert ne pouvait se voir reprocher une violation de l’art. 37 LBA, car « [c]onclure le contraire reviendrait à exiger de lui de revérifier l’ensemble de toutes les activités [de la banque] dans le détail, ce qui serait strictement impossible ». Le Tribunal fédéral estime quant à lui que la question dépend de savoir si Albert a eu des remontées d’information sur les requêtes du Ministère public de 2013. Ceci n’ayant pas été constaté, le Tribunal fédéral renvoie la cause à la Cour d’appel pour qu’elle détermine « si l’intimé, en tant que président du conseil d’administration, a eu connaissance d’éléments nouveaux qui auraient dû intensifier les anciens soupçons déjà présents et entraîner une annonce au MROS ou, à tout le moins, des explications complémentaires auprès des services compétents de la banque ».

Le Tribunal fédéral relève enfin que si la Cour d’appel devait finalement parvenir à la conclusion qu’Albert a violé son obligation de communiquer en tant que président du Conseil d’administration, cela remettrait sur le tapis la question de la prescription du comportement qui pourrait être reproché à Albert en sa qualité de directeur général.

En effet, la violation de l’obligation de communiquer est conçue comme une infraction d’omission continue, de sorte que le dies a quo du délai ne commence à courir qu’au moment où l’omission cesse (soit probablement ici le 18 octobre 2013, date à laquelle les autorités de poursuite pénale ont été en possession de toutes les informations utiles).