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Lutte anti-blanchiment

Commentaire du rapport annuel 2023 du MROS

Le rapport annuel 2023 du MROS est paru discrètement. Seuls certains points sont commentés.

Concernant les statistiques, on retient les 11’876 communications correspondant à 21’500 relations d’affaires (+56 %, chiffre décuplé en 10 ans), dont 90.5 % viennent des banques, alors que gestionnaires de fortune, avocats, notaires et trustees restent largement sous-représentés. L’escroquerie reste en tête des infractions préalables (voir cette analyse). 14.5 % des communications concernent des cryptomonnaies, leur importance restant probablement sous-estimée (voir ce rapport spécifique, commenté in Tharin, cdbf.ch/1335/). Pas de flambée de communications liées aux sanctions contre la Russie. Le MROS a l’« impression que les IF savent très bien distinguer les différents systèmes de communication et les différentes compétences ». La lutte anti-blanchiment et les sanctions sont connexes, mais leurs buts ne sont pas identiques et leur mise en œuvre relève d’autorités différentes. La proposition du projet de loi sur la transparence des personnes morales (LTPM) d’inclure dans l’art. 8 LBA des mesures pour prévenir la violation de la LEmb semble inutile. 866 dénonciations, s’appuyant en moyenne sur 1.8 communications reçues entre 2017 et 2023, ont été transmises. La baisse de 30 % résulte de l’approche fondée sur les risques du MROS.

Le MROS constate que les intermédiaires financiers (IF) livrent des données structurées en utilisant goAML (>90 % des cas), quand les autorités peinent à fournir de telles données (<20 % des cas). Le manque de qualité des données peut amener le MROS à rejeter la communication d’un IF en application de l’art. 3 OBCBA et il pourrait être reproché à l’IF de ne pas avoir fait sa communication à temps (voir Analyse du rapport annuel 2020 du MROS). L’introduction d’un registre des bénéficiaires envisagée dans le projet de LTPM ne change pas ceci : malgré la création d’un registre géré par le Département fédéral de justice et police et d’un organe de contrôle rattaché au Département fédéral des finances, obligation serait faite aux IF de signaler les divergences sans délai de traitement et de réponse imposé au registre. Est-il correct que les IF soient garants de la qualité des données de tiers traitées par les autorités ?

L’approche fondée sur les risques (RBA) appliquée par le MROS repose sur le type de criminalité, la stratégie des autorités et le risque de réputation. Le « renseignement actif » et la « mise en réseau des informations », doivent améliorer la pertinence de leur travail. Une conséquence est la baisse des communications faisant l’objet d’une analyse approfondie (2023 : 20 %, 2021 : 45 %). Les IF augmentent le nombre de communications, mais reçoivent moins de retours du MROS, de sorte que la capacité à évaluer la suite à donner aux relations d’affaires communiquées se dégrade. Les IF appliquent une RBA (art. 6 LBA). La jurisprudence sur l’art. 37 LBA (concernant les communications tardives, celles de relations d’affaires clôturées et la violation de l’obligation par négligence), semble toutefois tendre vers une obligation exhaustive de résultat. Cette impression est renforcée par la tension entre le rappel constant du MROS de clarifier avant de communiquer pour fournir des informations pertinentes de qualité et l’injonction de célérité de l’art. 17 OBA-FINMA. Le principe de RBA semble ainsi à géométrie variable.

Parmi les causes d’inflation des communications, le MROS mentionne l’augmentation des condamnations pour violation de l’obligation de communiquer contre des « responsables (sic) de la conformité issus des échelons hiérarchiques inférieurs », y compris en cas de négligence. Est-on fidèle aux dispositions anti-blanchiment si l’augmentation résulte de la sanction de collaborateurs de la deuxième ligne de défense agissant par négligence ? La compétence de communiquer relève de la direction à son plus haut niveau, sauf en cas de délégation au Compliance (art. 25a OBA-FINMA). Les modèles attribuent fréquemment cette responsabilité à un comité mixte (y compris un représentant de la direction) ou au Compliance (son responsable ou le Money Laundering Reporting Officer). Ceci s’inscrit, pour les établissements financiers, dans la gouvernance du règlement d’organisation validé par la FINMA. Sanctionner des compliance officers des échelons hiérarchiques inférieurs ne tient compte ni des responsabilités découlant du droit de la surveillance ni des normes anti-blanchiment. Le réflexe « communiquer trop plutôt qu’insuffisamment » en résultant causera une inflation exponentielle de communications de moindre qualité, s’éloignant du but poursuivi.

Les activités du MROS (y compris la coopération avec les autorités nationales et ses homologues étrangères) montrent comment la lutte anti-blanchiment a évolué. Les multiples révisions de notre système de communication – en réponse aux remarques du GAFI, ou résultant de compromis législatifs – aboutissent à un système insatisfaisant pour les parties prenantes, les unes estimant leurs ressources insuffisantes et les autres ayant le sentiment d’une délégation exagérée de tâches étatiques avec une responsabilité exorbitante.

Une réflexion fondamentale est nécessaire, notamment à propos :

  • de la réévaluation du contour des responsabilités entre autorités et IF,
  • de la création d’un véritable centre de compétence indépendant en matière de lutte anti-blanchiment, évitant la dispersion actuelle,
  • du traitement différencié des cas selon leur importance et leur complexité (règle de minimis, RBA y compris en matière de communication),
  • d’un système de sanction ciblant d’abord l’IF et n’ouvrant la recherche de responsabilités personnelles qu’en cas de rôle significatif dans la violation de l’obligation de communiquer, quelle que soit la fonction ou le niveau hiérarchique, excluant la violation de l’obligation de communiquer par négligence de l’art. 37 al. 2 LBA.

L’obligation de communiquer est un rouage important d’un système anti-blanchiment crédible. Elle mérite qu’on se penche sur son sort autrement qu’en urgence et de façon partielle pour répondre à des pressions externes.