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Révision du dispositif anti-blanchiment

Publication du projet et du message du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral a publié le 22 mai 2024 le projet de loi portant révision du dispositif anti-blanchiment. Pour mémoire, la révision comporte deux volets. Le premier s’inscrit dans le prolongement d’une modification, début 2022, de la Recommandation 24 du GAFI relative à la transparence des personnes morales. Il prévoit l’introduction d’un registre fédéral des ayants droit économiques des sociétés, par le biais d’une nouvelle loi sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques (P-LTPM). Le second volet est composé de plusieurs modifications de la LBA. Nous commentons ici les principales : assujettissement à la LBA des conseillers, abaissement du seuil de certaines transactions en espèces pour la soumission aux obligations LBA, remaniement du système sanctionnateur pour les affiliés à un OAR, utilisation du régime anti-blanchiment pour assurer le respect des sanctions internationales, restriction à la poursuite de la violation de l’obligation de communiquer commise par négligence.

Le projet de LTPM est, dans les grandes lignes, fidèle à l’avant-projet (commenté in : Villard, cdbf.ch/1300). Sous réserve de quelques exceptions, il vise les personnes morales de droit privé suisse, les trustees et certaines entités étrangères présentant un lien particulier avec la Suisse – succursale inscrite au registre du commerce, administration effective en Suisse ou propriété d’un immeuble en Suisse (art. 2 P-LTPM). Ces entités devront identifier et annoncer au registre (électronique) de transparence ou, dans certaines situations, au registre du commerce les personnes physiques qui, selon les définitions posées par la loi, doivent être considérées comme leurs ayants droit économiques (pour les sociétés, art. 4 ss P-LTPM). Ces derniers doivent eux-mêmes s’annoncer à la société, de même que doivent être annoncés les rapports de fiducie (art. 13 ss P-LTPM). La déclaration doit être effectuée par le membre le plus haut placé de l’organe de direction, qui peut déléguer cette tâche mais continue à répondre de sa bonne exécution (art. 12 P-LTPM). Le registre contenant les informations utiles, tenu par l’OFJ, serait accessible aux autorités, ainsi que, pour les besoins de la lutte anti-blanchiment, aux intermédiaires financiers et aux conseillers (art. 28, 34 et 35 P-LTPM). L’intermédiaire financier qui constate une divergence entre les informations du registre de transparence et celles en sa possession serait d’ailleurs dans l’obligation de la signaler (art. 38 P-LTPM). Le non-respect, par l’intermédiaire financier, de son obligation de signalement des divergences ne porte toutefois pas à conséquence à teneur du projet de loi. Une autorité de contrôle – soit une unité du DFF – serait chargée de vérifier les informations au registre et surveiller l’exécution de la loi (art. 42 et 46 P-LTPM). L’entité elle-même, les actionnaires, associés, etc. d’une société, les tiers impliqués dans la chaîne de contrôle et les ayants droit économiques ou encore, sous réserve du secret professionnel, les tiers en relation contractuelle avec les personnes précitées sont tenus de fournir à l’autorité de contrôle les renseignements et pièces utiles (art. 44 P-LTPM). La violation des annonces à faire à la société pour la détermination de l’ayant droit économique, la violation de l’obligation d’annonce au registre ou la fourniture de fausses indications à l’autorité de contrôle, serait réprimée, conformément aux dispositions du droit pénal administratif, par une amende pouvant atteindre un demi-million de francs (art. 50 P-LTPM). Au contraire toutefois de ce qui était prévu dans l’avant-projet et pour tenir compte des critiques émises lors de la procédure de consultation, la violation doit être intentionnelle, la seule négligence n’étant pas punissable.

En ce qui concerne le deuxième volet, on rappelle que le projet entend tout d’abord, dans le prolongement de la révision amputée de 2019 – et c’est évidemment-là le nerf de la guerre – élargir le cercle des activités soumises à la LBA. Le critère, aujourd’hui principal, pour être assujetti au régime anti-blanchiment, à savoir l’intermédiation financière apparait trop restrictif. Toute une palette d’activités s’articulant autour de conseils juridiques ou comptables en lien avec la création et la gestion de sociétés ou de vente/achat immobilier déclencherait désormais les obligations LBA (art. 2 P-LBA). Le message effectue plusieurs précisions intéressantes sur la délimitation entre les activités assujetties et celles qui ne le sont pas (message, p. 150 ss). Si le champ d’application matériel de cette extension était déjà le même dans l’avant-projet, ce dernier prévoyait toutefois un régime spécial pour l’avocat assujetti à la loi sur la libre circulation des avocats (LLCA) et exerçant les activités susmentionnées, en ce que les obligations de diligence LBA étaient ancrées dans la LLCA (et non pas dans la LBA). On peut imaginer que cette lex specialis avait, sur un plan « psychologique », l’objectif d’atténuer la levée de boucliers que le projet d’assujettissement à la LBA de certaines activités de conseil provoquait dans le milieu des avocats, en leur prévoyant un régime ad hoc. Elle avait par ailleurs pour conséquence de soumettre le respect des obligations LBA – et les sanctions en cas de violation – à la compétence de l’autorité de surveillance des avocats. Quoi qu’il en soit, la proposition n’a pas convaincu les participants à la procédure de consultation qui ont notamment fait valoir que l’autorité de surveillance des avocats n’avait pas les ressources nécessaires au contrôle du respect des obligations LBA. Le projet abandonne donc l’idée d’un « double ancrage », de sorte que les obligations de tous les conseillers qui exercent une activité désormais soumise au régime anti-blanchiment sont réglées dans le P-LBA, que ce conseiller soit, ou non, un avocat LLCA. Les obligations de diligence des conseillers seront concrétisées dans une ordonnance du Conseil fédéral selon une approche fondée sur les risques (art. 8c P-LBA). Le projet reprend par ailleurs, dans la LBA, l’exemption qui figurait initialement, dans l’avant-projet, dans la LLCA, en sortant du champ d’application de la loi l’activité exercée dans le cadre de procédures judiciaires, pénales, administratives ou arbitrales (art. 2 al. 4 let. f P-LBA). La question de savoir si l’exemption vaut aussi s’agissant d’une « potentielle-future » procédure n’est pas claire à ce stade. En ce qui concerne ensuite l’obligation de communiquer, l’art. 9 al. 2 let. b P-LBA prévoit une clause spéciale pour les avocats et les notaires en ce sens qu’une telle obligation ne peut se déclencher que si, cumulativement : (i) ces professionnels effectuent une transaction financière au nom et pour le compte du client et (ii) les informations à communiquer ne sont pas couvertes par le secret professionnel (réserve déjà prévue par le droit actuel pour l’avocat intermédiaire financier).

En résumé, le système prévu est donc le suivant : l’avocat est soumis à des obligations de diligence LBA lorsqu’il effectue une prestation au sens de l’art. 2 al. 3bis et 3ter P-LBA, qui peut ressortir de l’activité typique ou atypique de l’avocat. Ces devoirs ne sont toutefois pas applicables lorsque la prestation – qui relève alors nécessairement de l’activité typique de l’avocat – s’inscrit dans le cadre d’une activité de représentation en justice. S’agissant, en revanche, de l’obligation de communiquer, le secret professionnel s’oppose à toute transmission au MROS d’informations obtenues dans le contexte de l’activité classique de l’avocat, y compris le conseil.

La surveillance des conseillers est assurée par un organisme d’autorégulation avec une disposition spéciale s’agissant des avocats et des notaires pour préserver le secret professionnel (art. 12 et 18a P-LBA).

Ensuite, le projet remet sur le tapis une autre mesure qui avait été refusée par le Parlement lors de la dernière révision de 2019, soit l’abaissement du seuil de CHF 100’000.- à CHF 15’000.- pour l’assujettissement des négociants en métaux précieux et pierres précieuses (bruts ou semi-ouvrés) au dispositif anti-blanchiment (art. 8a al. 2bis P-LBA). Il y ajoute les négociants en immeubles, sans limite de seuil pour le paiement en espèces (art. 8a al. 4 AP-LBA). A lire les résultats de la procédure de consultation, la mesure ne parait pas activement combattue.

A la suite des critiques presque unanimes émises lors de la procédure de consultation, le Conseil fédéral renonce en revanche à modifier le système sanctionnateur actuellement assumé par les OAR, en le « faisant passer » du droit privé ou droit public. On rappelle que la proposition visait à anticiper un possible revirement de jurisprudence du Tribunal fédéral à cet égard. Le message précise que la mesure « fera, l’objet, cas échéant, d’un projet législatif distinct » (message, p. 37). Si le système actuel semble fonctionner d’après les participants à la procédure de consultation, une réflexion sur le système sanctionnateur en matière de LBA – et de surveillance des marchés financiers en général – mérite toutefois d’être engagée. Un changement de jurisprudence – qui considérerait désormais les sanctions des OAR comme du droit public – imposerait d’ailleurs une révision législative.

La novelle prévoit encore un élargissement de l’objet de la LBA, qui mentionnerait désormais les mesures de coercition fondées sur la loi sur les embargos (art. 1 et 8 P-LBA). Mesure pragmatique, cette inclusion reste discutable sur le plan dogmatique, car elle crée un amalgame entre deux situations tout à fait différentes (contexte de criminalité financière d’un côté, sanctions internationales dans le cadre d’une situation géopolitique particulière de l’autre).

Last but not least, le Conseil fédéral propose – ce qui n’était initialement pas prévu et dans le prolongement des griefs exprimés à cet égard par les représentants du secteur financier – une restriction à la poursuite de la violation par négligence du devoir d’annonce au sens de l’art. 37 al. 2 LBA. Selon la disposition modifiée du projet, le DFF devrait renoncer à la poursuite dans les cas de faible gravité (art. 37 al. 2 P-LBA).