Accord transactionnel
Analyse de la portée d’une clause de confidentialité
Nicolas Rouvinez
Dans un récent arrêt 4A_26/2024 du 11 juin 2024, le Tribunal fédéral a été appelé à se prononcer sur l’interprétation d’une clause de confidentialité contenue dans un accord transactionnel passé entre une banque et un détective privé. Concrètement, la question clé était la suivante : est-ce que les parties ont voulu protéger les informations secrètes au sens formel ou matériel ?
En 2019, une société active dans les services d’investigation et de sécurité est impliquée dans l’« affaire Khan », lors de laquelle il est révélé que M. Khan – ancien cadre de Credit Suisse – avait été surveillé par des détectives privés mandatés par la banque précitée. Des poursuites pénales s’ensuivent.
Le 16 juillet 2021, l’associé gérant de la société d’investigation, Credit Suisse et d’autres parties impliquées dans l’affaire concluent un accord pour mettre fin aux procédures pénales pendantes. Cet accord est assorti d’une clause de confidentialité dont la violation est sanctionnée par une peine conventionnelle.
Le 24 juillet 2021, la NZZ demande à la banque si elle souhaite prendre position sur les déclarations du Ministère public zurichois selon lesquelles les parties impliquées dans l’affaire ont retiré leurs plaintes et conclu un accord. Credit Suisse répond alors que « les parties se sont accordées pour mettre fin aux procédures pénales en cours. L’affaire est donc close » (traduction libre).
Faisant valoir une violation de la clause de confidentialité, l’associé gérant ouvre action contre la banque et demande à ce que celle-ci soit condamnée à lui verser la peine conventionnelle prévue. Ses prétentions sont rejetées par les tribunaux zurichois.
Saisi d’un recours de l’associé gérant, le Tribunal fédéral examine le bien-fondé de l’interprétation de l’accord retenue par l’instance précédente.
En substance, la clause pertinente imposait aux parties de garder secrets l’existence et le contenu de l’accord, tout en aménageant un certain nombre d’exceptions. En particulier, « si, en dépit de l’obligation de confidentialité, la conclusion de l’accord ou son contenu venait à être connu », chaque partie aurait été libérée de l’obligation de confidentialité, afin notamment de « préserver ses droits de la personnalité » ou de « rectifier de fausses informations » (traductions libres).
Comme l’explique le Tribunal fédéral, l’enjeu est de déterminer si, en concluant une clause de confidentialité, les parties ont adopté une compréhension formelle ou matérielle du secret.
Selon la compréhension formelle, une information est secrète lorsqu’elle a été déclarée secrète par les parties concernées. Selon la compréhension matérielle, une information est secrète lorsqu’elle n’est ni manifeste ni librement accessible, et que le maître du secret a non seulement un intérêt légitime à ce que l’information reste secrète, mais aussi la volonté expresse ou tacite de la garder secrète ; en d’autres termes, si la volonté des parties concernées est aussi pertinente, elle n’est pas – contrairement au cas du secret au sens formel – à elle seule décisive pour déterminer quelle information constitue un secret au sens matériel.
Dans le cas d’espèce, l’instance d’appel est parvenue à la conclusion – à l’issue d’une interprétation subjective – que les parties se sont ici fondées sur une compréhension matérielle du secret. À cet égard, il a été jugé déterminant que les parties avaient prévu une libération de l’obligation de confidentialité dans l’hypothèse où les informations concernées seraient devenues publiques. En d’autres termes, l’obligation de garder le secret dépendait du fait de savoir si la conclusion ou le contenu de l’accord avaient été portés à la connaissance du public. Or, une telle définition « relative » des informations secrètes est inconciliable avec la protection « absolue » que garantirait la conception formelle du secret. Il faut donc en déduire que les parties ont privilégié la protection d’informations matériellement secrètes.
Limité à un examen restreint sous l’angle de l’arbitraire, le Tribunal fédéral confirme l’appréciation de l’instance précédente. En particulier, et contrairement à ce que fait valoir l’associé gérant, pour interpréter la clause de confidentialité, il n’est pas pertinent de savoir que durant les négociations l’associé gérant avait défendu une compréhension formaliste des informations secrètes : en effet, le texte de l’accord montre bien que c’est une compréhension matérielle qui a finalement été adoptée par les parties.
Après avoir posé ce premier jalon, la suite du raisonnement coule de source. Les faits retenus par l’instance précédente démontrent clairement qu’au moment où Credit Suisse a été interrogée par les journalistes de la NZZ, la conclusion de l’accord n’était déjà plus une information (matériellement) secrète. Puisqu’il n’y avait plus de secret, la prise de position de la banque ne pouvait constituer une violation de l’obligation de confidentialité.
L’analyse juridique du Tribunal fédéral – et des tribunaux cantonaux avant lui – ne fait pas un pli. On peut douter que la conception formaliste se rencontre fréquemment en pratique, tant elle pêche par sa rigidité excessive : maintenir secrète une information déjà connue simplement parce que cela a été décidé une fois pour toutes, cela sera rarement dans l’intérêt des parties. Remarquons à cet égard que la conception formelle constitue aussi l’exception en droit pénal (où au demeurant elle essuie régulièrement les critiques de la doctrine, cf. par exemple l’ATF 126 IV 236, consid. 2a). Sans surprise, des parties liées par une clause de confidentialité voudront privilégier le pragmatisme qui va de pair avec une conception matérielle du secret.
On peut toutefois regretter que, après avoir retenu la conception matérielle du secret, le Tribunal fédéral ne soit pas allé jusqu’au bout de son analyse. On s’explique : si l’information communiquée n’était certes plus secrète vis-à-vis de la NZZ, elle n’était en tout cas pas manifeste (« offenkundig »), ni librement accessible (« allgemein zugänglich ») comme le requiert la définition de secret matériel arrêtée par la jurisprudence. Certes, compte tenu du caractère « relatif » de la protection voulu par les parties, la conclusion du Tribunal fédéral n’est à notre sens pas remise en cause (l’information litigieuse n’étant de toute manière pas secrète vis-à-vis de l’interlocuteur concerné). Cependant, une explication plus approfondie sur ce point aurait été souhaitable.