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Prêt COVID-19

De la qualification pénale d’une obtention frauduleuse

Dans un arrêt publié du 31 mai 2024, le Tribunal fédéral avait déjà confirmé que l’obtention frauduleuse d’un prêt « COVID-19 » était constitutive d’escroquerie (ATF 150 IV 169, commenté in Dupuis, cdbf.ch/1353). Sa jurisprudence était en revanche fluctuante s’agissant de la réalisation de l’infraction de faux dans les titres en lien avec la présentation, à la banque prêteuse, du formulaire de demande de crédit mensonger. L’arrêt 6B_95/2024 du 6 février 2025, destiné à publication, a apporté la réponse de tout juriste qui se respecte : « ça dépend ».

Dans un arrêt non destiné à publication du 1er mars 2024, la 2ème Cour de droit pénal du Tribunal fédéral avait tout d’abord jugé que l’absence de contrôle, voulue par le législateur, de l’exactitude des informations figurant dans le formulaire de demande de prêt COVID-19 conférait à ce dernier une garantie de véracité particulière (7B_274/2022 du 1er mars 2024, c. 4.3). Un document mensonger réalisait en conséquence l’infraction de faux intellectuel au sens de l’art. 251 CP, en « [constatant] faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique ». L’approche n’a, tout d’abord, pas été contredite par la 1ère Cour de droit pénal (6B_691/2023 du 1er juillet 2024, c. 3.3). Cette dernière a toutefois fait volte-face dans un arrêt 6B_262/2024 du 27 novembre 2024, destiné à publication. Effectuant un parallèle avec sa jurisprudence en matière de contrats, les juges de Mon Repos ont estimé que le contenu de la déclaration ne bénéficiait pas d’une valeur probante accrue car rien ne garantissait qu’il correspondait à la volonté réelle du demandeur de crédit, notamment quant à la destination des fonds prêtés (en particulier c. 1.7.4, 1.9.1 et 1.9.5). Le document mensonger ne revêtait donc pas la qualité de faux intellectuel. Le Tribunal fédéral a toutefois esquissé la possibilité d’une solution différente suivant la nature de l’information inexacte, par exemple en cas d’inscription d’un faux chiffre d’affaires (c. 1.9.7). Il a confirmé cette approche dans son arrêt du 6 février 2025.

Le Tribunal fédéral relève à cet égard que le demandeur de crédit COVID-19 devait indiquer son chiffre d’affaires pour l’année 2019, sur la base du bilan définitif ou provisoire de l’entreprise. Il rappelle, dans la foulée, que, de jurisprudence constante, la comptabilité commerciale (même non vérifiée par l’organe de contrôle et/ou non approuvée par l’assemblée générale) bénéficie de la force probante accrue nécessaire à la réalisation de l’infraction de faux dans les titres. Mais, en l’occurrence, l’indication dans le formulaire de demande de prêt COVID-19 d’un chiffre d’affaires inexact revêt une garantie de véracité particulière même si le document n’est accompagné d’aucune pièce justificative.

Cette jurisprudence démontre, une fois encore, le caractère éminemment casuistique et difficilement prédictible du faux dans les titres s’agissant de l’hypothèse du faux intellectuel.

On peut encore relever, en ce qui concerne l’infraction d’escroquerie, que le Tribunal fédéral confirme, derechef, qu’en matière d’escroquerie au prêt, le dommage survient au moment de l’octroi du crédit. A ce moment-là en effet, le patrimoine du prêteur est économiquement mis en danger de telle manière que cela correspond à un dommage patrimonial au sens de l’art. 146 CP. Ainsi, un remboursement ultérieur du crédit n’affecte pas la réalisation de l’infraction. Par ailleurs, le Tribunal fédéral indique, à notre connaissance pour la première fois de manière aussi claire, que le lésé par l’infraction est non pas la banque mais les organismes de cautionnement, et ce même si, in fine, c’est la Confédération qui couvre les pertes.