Vérification de l’adéquation
Quo vadis ?

Sébastien Pittet
L’étendue de la récolte d’informations du client sur ses connaissances et son expérience dans le cadre de l’examen de l’adéquation fait débat. La solution proposée par l’art. 12 ph. 2 LSFin n’est probablement pas satisfaisante pour le service de conseil en placement. Pour le service de gestion, l’interprétation de cette disposition proposée par la FINMA dans sa Circulaire 2025/2 sur les règles de comportement selon la LSFin et l’OSFin a été passablement critiquée et s’écarte selon certains de la volonté du Parlement.
L’art. 12 LSFin concrétise l’obligation de vérification de l’adéquation (suitability) du prestataire de services financiers qui fournit un service de gestion de fortune ou de conseil en placement tenant compte de l’ensemble du portefeuille.
L’art. 12 ph. 2 LSFin précise que « [l]es connaissances et l’expérience du client se rapportent au service financier et non à chaque transaction isolée » (emphase ajoutée). Cette précision, qui ne figurait pas dans le projet du Conseil fédéral, a été ajoutée à la suite des débats parlementaires. Dans la Circ. FINMA-2025/2, la FINMA précise au Cm 14 que les prestataires doivent « se renseigner sur les connaissances et l’expérience de leur clientèle pour chaque catégorie de placement figurant dans leur offre de service financier (…) en tenant compte des caractéristiques de la stratégie de placement ainsi que des types d’instruments financiers utilisés » (emphases ajoutées). Le commentaire de cette circulaire rappelle que « les connaissances et [l’]expérience ne doivent pas être clarifiées pour chaque transaction ».
En introduisant un contrôle fondé sur les « caractéristiques de la stratégie de placement » ainsi que sur les « types d’instruments financiers utilisés », la FINMA établit, à notre sens, un niveau intermédiaire entre une évaluation des connaissances et l’expérience se rapportant au « service financier » et « à chaque transaction isolée ». Cette approche – il est vrai différente de la lettre de l’art. 12 ph. 2 LSFin – se rapproche passablement de la position de l’ESMA (p. 50, s’agissant du service de gestion : « the client should at least understand the overall risks of the portfolio and possess a general understanding of the risks linked to each type of financial instrument that can be included in the portfolio »).
Dans un courrier du 15 janvier 2025, l’Association de Banques Privées Suisses (ABPS) s’est interrogée sur la légalité de cette interprétation de la FINMA (comme l’avaient déjà fait plusieurs parties prenantes lors de la procédure d’audition de la circulaire / voir également le rapport sur les résultats de l’audition). Dans sa réponse du 7 février 2025, la FINMA nuance légèrement sa position pour le service de gestion en précisant qu’il « s’agit plutôt de se pencher sur les types de produits qui contribuent de manière significative à la définition de la stratégie de placement concrète » pour permettre au client d’évaluer les risques liés à la stratégie de placement (emphase ajoutée). Indépendamment de la légalité de l’interprétation de la FINMA de l’art. 12 LSFin, la légitimité du processus de l’autorité interroge (disposition légale interprétée/modifiée par une circulaire ; elle-même précisée par un commentaire ; puis encore par un courrier à une association professionnelle).
L’analyse de la problématique liée à l’art. 12 ph. 2 LSFin doit être scindée en fonction du service fourni.
Dans le service de gestion de fortune, le client délègue l’activité d’investissement à son gestionnaire. Est-ce nécessaire que celui-ci comprenne précisément la nature et les risques afférents à tous les différents instruments financiers qui composent son portefeuille ? C’est précisément pour déléguer cette tâche à son gestionnaire qu’il recourt à ce service. L’incompréhension du client d’un produit spécifique (e.g., fonds de hedge fund ou produit structuré) ne devrait pas empêcher le gestionnaire de recourir à cet instrument s’il est adéquat pour la stratégie de placement choisie par le client et ne contribue pas de manière significative à la stratégie de placement. Inversement, il est probablement vrai que pour pouvoir accepter une stratégie qui lui est proposée, le client devrait en comprendre le contenu (à tout le moins les catégories de placement qui contribuent significativement à la stratégie). La mise en œuvre d’une stratégie respectant par exemple les exigences fixées par les Directives ASB concernant le mandat de gestion de fortune ne devrait pas exiger des connaissances et une expérience financières accrues du client (ni d’explications complémentaires / art. 14 al. 3 LSFin). Cette conclusion doit toutefois être nuancée lorsque la stratégie proposée au client présente un degré de complexité élevé ou comporte des risques particulièrement importants.
Précisons qu’un service adéquat ne soustrait pas le prestataire de son devoir d’information (art. 8 LSFin). Selon cette disposition, le prestataire informe son client notamment sur les risques généraux liés aux instruments financiers ainsi que sur les risques liés au service financier (et la stratégie de placement / art. 7 al. 2 let. b OSFin).
Dans le service de conseil en placement tenant compte de l’ensemble du portefeuille, la limitation de la vérification des connaissances et de l’expérience du client au service financier ne se justifie probablement pas. Dans une relation de conseil, c’est le client qui prend la décision d’investissement. Contrairement au texte de l’art. 12 ph. 2 LSFin, il devrait être nécessaire qu’il comprenne non seulement la nature du service, mais également chaque transaction individuelle recommandée (comme c’est déjà le cas pour le conseil en placement lié à des transactions isolées / art. 11 LSFin). Cet élément était d’ailleurs à juste titre spécifiquement mentionné dans le Message relatif à la LSFin (p. 8157).
Il n’en demeure pas moins que la solution adoptée par l’art. 12 ph. 2 LSFin s’applique actuellement dans le contexte de droit de la surveillance. La FINMA ne dispose pas des outils nécessaires pour rétablir cette incohérence législative (sur ce point, la position de l’autorité dans sa réponse à l’ABPS s’écarte de la LSFin). Ce point ne devrait pouvoir être corrigé qu’au travers d’une modification de la LSFin. Dans l’intervalle, le prestataire gardera en tête que les normes de la LSFin ne sont pas de double nature (Doppelnorm) et ne constituent pas non plus un safe harbour sous l’angle du droit privé. Les juridictions civiles pourraient dès lors considérer qu’une limitation de la vérification des connaissances et de l’expérience du client au service est insuffisante pour tous les types de conseil en placement.