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Conséquences de la fraude dans le crédit documentaire à paiement différé : nouvel arrêt du TF

Notre Haute Cour a rendu un arrêt 4C.66/2004 du 1er juin 2004, d’une importance capitale pour les banques en matière de crédit documentaire à paiement différé. Il s’agit seulement du deuxième arrêt de notre Haute Cour depuis 1974 (ATF 100 II 145 = JT 1975 I 326) sur la question des conséquences d’une fraude découverte entre le moment d’un paiement anticipé, sous la forme d’un escompte, de la somme d’accréditif et celui de l’échéance du crédit.

Le TF commence par juger à juste titre que la banque émettrice (dans un crédit tripartite) ou confirmatrice (dans un crédit quadripartite) ne viole pas ses obligations contractuelles spécifiées dans le contrat de mandat (art. 394 ss CO) et dans les RUU 500, lorsqu’elle s’acquitte du crédit documentaire avant l’échéance, conformément à l’art. 81 CO, et ce même sans solliciter le consentement de son mandant. En d’autres termes, la banque assignée peut payer avant l’échéance sans violer son mandat si son propre mandant (le donneur d’ordre, voire la banque émettrice dans un accréditif confirmé) ne lui en fait pas l’interdiction. Le TF reconnaît, au passage et selon nous toujours à juste titre, que la banque assignée qui paie avant l’échéance s’acquitte bel et bien de la somme d’accréditif et ne consent pas un prêt, distinct de l’accréditif, au bénéficiaire.

Au vu de ce qui précède, il est pour le moins surprenant que le TF – prenant acte du fait qu’une tendance nette se dessinerait, selon lui, tant dans la doctrine que dans la jurisprudence étrangère pour reconnaître que la banque qui paie avant l’échéance doit en supporter elle-même les risques, notamment en cas de fraude – fasse sienne cette position. Pour toute motivation juridique, il indique que la banque qui paierait avant l’échéance (échéance dont le TF relève pourtant le caractère non impératif au vu de l’art. 81 CO) modifierait à son avantage et unilatéralement les termes de l’accréditif à paiement différé, et empêcherait son mandant de se prévaloir d’une fraude éventuelle jusqu’à l’échéance.

Le raisonnement, pour le moins contradictoire, tenu par le TF ne convainc pas. Ce dernier souligne en effet que la banque assignée peut payer par anticipation sans violer son mandat – et c’est précisément sa bonne et fidèle exécution du mandat (art. 398 al. 2 CO) qui fait naître sa créance en remboursement de ses frais contre son mandant (art. 402 al. 1 CO), laquelle ne deviendra cependant exigible qu’à l’échéance de l’accréditif -, tout en affirmant que si la banque paie avant l’échéance elle viole son mandat puisqu’elle modifierait le crédit documentaire sans l’accord du bénéficiaire (le TF ne l’exprime évidemment pas en ces termes mais l’affirmation est implicite, à défaut de quoi on ne voit pas comment le droit de la banque mandataire au remboursement de ses frais lui serait dénié).

C’est dire que cette problématique, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre en doctrine, risque d’en faire couler encore. Quand bien même notre Haute Cour se défende de modifier sa jurisprudence antérieure, cette nouvelle décision s’en démarque dramatiquement dans ses conséquences. Faire porter le risque de la fraude (qui devra dorénavant être systématiquement suspectée !) à la banque, en cas de paiement anticipé, nous apparaît en tous les cas contraire au principe de l’abstraction et à l’art. 15 RUU.

Quoi qu’il en soit, les banques suisses chargées d’émettre ou de confirmer (pour ne rien dire des banques domicile de paiement qui ne peuvent de toute façon pas se prévaloir de l’art. 81 CO) des crédits documentaires à paiement différé sont prévenues. Si notre Haute Cour ne revient pas sur sa jurisprudence – il faut toutefois espérer que l’occasion lui en soit donnée -, les banques seront désormais bien inspirées de refuser tout paiement anticipé au bénéficiaire (ce qui est contraire au principe de l’équilibre contractuel, puisque le donneur d’ordre, lui, bénéficie de l’avantage du terme) ou d’obtenir le consentement exprès de leur mandant avant de payer par anticipation la somme d’accréditif.