Appel abusif à une garantie bancaire : rappel de jurisprudence

Nicolas de Gottrau
Dans un arrêt du 21 juin 2005 (4P.44/2005) non destiné à la publication, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de rappeler certains principes applicables en matière d’appel abusif à une garantie bancaire.
Dans le cadre d’un contrat de location d’un avion, deux sociétés belges avaient fait émettre par une banque suisse une garantie bancaire à première demande destinée à garantir à hauteur de USD 500’000 maximum le paiement de factures émises en relation avec des vols charters. Le bénéficiaire avait fait appel à la garantie pour son montant total en présentant deux factures (de USD 150’000 chacune) prétendument impayées et pour une facture (de USD 1’126’400) concernant un prétendu manque à gagner pour des heures de vol non effectuées par l’avion loué. Les sociétés belges, donneurs d’ordre de la garantie, s’étaient opposées au paiement de la garantie en requérant des mesures provisionnelles. Les tribunaux vaudois avaient cependant considéré que l’appel à la garantie n’était pas abusif en ce qu’il concernait les deux factures et avaient donc fait interdiction à la banque d’honorer la garantie pour la part excédant USD 300’000. Au terme d’une procédure complexe, dans le détail de laquelle il est inutile d’entrer, le Tribunal fédéral était saisi d’un recours de droit public formé par les sociétés belges qui se plaignaient notamment d’une appréciation arbitraire des faits de la cause.
C’est ainsi que notre Haute Cour a eu l’occasion de rappeler le caractère indépendant d’une garantie bancaire : la garantie doit être honorée si les conditions d’appel en sont réalisées, et ce sans égard à un éventuel litige relatif au contrat de base sous-jacent. Toutefois, la garantie n’est jamais totalement « dégagée » du contrat de base, l’indépendance de la garantie cessant lorsque son bénéficiaire s’en prévaut au mépris manifeste des règles de la bonne foi (art. 2 CC). En cas d’abus de droit manifeste, la banque a non seulement le droit de refuser son paiement, mais elle en a aussi l’obligation à l’égard de son mandant, le donneur d’ordre. Pour éviter de porter atteinte au principe de l’indépendance, l’abus de droit doit cependant être manifeste, et le refus d’honorer la garantie doit rester exceptionnel.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours de droit public au motif que la dernière instance cantonale avait fait preuve d’arbitraire en refusant d’admettre qu’il avait été établi avec suffisamment de vraisemblance que le solde de la créance du bénéficiaire de la garantie ne se montait, en ce qui concerne les deux factures litigieuses, plus qu’à USD 60’000. Dès lors l’appel à la garantie à hauteur de USD 300’000 était manifestement abusif. La mesure provisionnelle devait donc être modifiée pour interdire dorénavant à la banque de payer tout montant excédant USD 60’000 au titre de la garantie.
Le Tribunal fédéral n’avait en revanche pas à se pencher sur la question de la validité de l’appel à la garantie pour ce qui a trait à la créance de USD 1’126’400 également invoquée par le bénéficiaire. En effet, les juridictions cantonales avaient déjà jugé abusif l’appel à la garantie en ce qu’il concernait le prétendu manque à gagner lié aux heures de vol non effectuées. On relèvera toutefois qu’un tel recours à la notion d’abus de droit n’aurait, selon nous, pas été nécessaire s’il était apparu clairement, au vu du texte même de l’engagement pris par la banque, que cette créance était sans rapport avec la garantie. Dans un tel cas de figure, en effet, l’appel à la garantie est simplement inopérant en ce qu’il intervient dans un but ne correspondant pas à celui visé par cette dernière. Il s’agit alors d’une objection dérivant du rapport de garantie que la banque peut, et doit, opposer au bénéficiaire pour protéger les intérêts de son mandant (cf. cependant ATF 122 III 323 dans lequel le Tribunal fédéral a néanmoins appliqué, dans un tel cas de figure, l’art. 2 al. 2 CC pour faire échec à l’appel à la garantie).