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Responsabilité de la banque pour exécution d'ordres frauduleux d'un gérant externe

Dans un arrêt du 24 avril 2006, qui vient d’être publié aux ATF (ATF 132 III 449), le Tribunal fédéral était saisi d’un litige opposant deux clients à leur banque dépositaire. Ces clients avaient conféré un mandat de gestion en faveur d’un gérant externe en lui confiant une procuration strictement limitée à l’activité de gestion ; le gérant n’était pas autorisé à ordonner des transferts ni à opérer des prélèvements. La banque pour sa part était déchargée de toute responsabilité en raison des actes du gérant externe dont elle n’avait pas à contrôler les ordres.
En juillet 2001, le gérant externe procéda à plusieurs retraits. La première fois, il présenta à la banque copie d’une lettre qui lui était adressée portant la signature d’un des clients ordonnant un retrait conséquent ; le caissier compara cette signature avec le spécimen à sa disposition et l’ayant trouvée conforme, remit la somme demandée. Le lendemain, le gérant ordonna par téléphone trois transferts au débit de ce même compte, en annonçant la remise d’une confirmation signée des clients. Ses ordres furent exécutés sans délai. Ce n’est qu’une semaine plus tard que le gérant adressa à la banque les avis de débit consécutifs au transfert précité apparemment contresignés par l’un des clients. Enfin, quelques jours plus tard, le gérant transmit par fax non seulement la confirmation écrite des trois transferts précédents, mais aussi un nouvel ordre de transfert portant également la signature d’un des clients. Cet ordre fut lui aussi exécuté. Les signatures des quatre documents étaient exactement identiques. Il apparut plusieurs mois après qu’en réalité les clients n’avaient ordonné aucune de ces opérations. Le gérant avait confectionné des faux à partir d’une signature authentique en utilisant ciseaux, colle et photocopieuse.
Le Tribunal fédéral a rappelé qu’en principe c’est la banque qui supporte le risque d’une prestation exécutée par le débit du compte en faveur d’une personne non autorisée. Lorsque le client réclame la restitution de l’avoir en compte, il exerce une action en exécution du contrat qui n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de la banque. Il est cependant habituel que les conditions générales appliquées par la banque comportent comme en l’espèce une clause de transfert de risque prévoyant que le dommage résultant d’un faux non décelé est, sauf faute grave de la banque, à la charge du client. Par l’effet de cette stipulation, le risque a priori assumé par celle-là est reporté sur celui-ci. En vertu de l’art. 100 CO, une clause de ce type est d’emblée dénuée de portée si un dol ou une faute grave sont imputables à la banque. En cas de faute légère de la banque, dont l’activité est assimilée à l’exercice d’une industrie concédée par l’autorité, le juge peut tenir cette clause pour nulle. Notre Haute Cour a encore précisé qu’en règle générale, la banque n’est tenue de vérifier l’authenticité des ordres à elle adressés que selon les modalités convenues entre les parties ou, le cas échéant, spécifiées par la loi. Elle doit cependant procéder à des vérifications supplémentaires s’il existe des indices sérieux d’une falsification ou si l’ordre ne porte pas sur une opération prévue par le contrat ni habituellement demandée.
Appliquant ces principes aux faits de la cause, le Tribunal fédéral a considéré que le premier ordre de retrait, n’étant pas adressé à la banque mais au gérant, ne s’inscrivait pas dans le pouvoir de représentation de ce dernier. Par ailleurs, la banque aurait dû exiger la signature écrite à la main et non pas une simple reproduction. En exécutant néanmoins cet ordre la banque s’est engagée dans une opération étrangère à celle visée par la clause de transfert des risques, de telle sorte que celle-ci n’était pas opposable aux clients.
Pour les trois ordres de transfert donnés le jour suivant, le gérant ne s’était servi d’aucun écrit. Il avait simplement téléphoné pour donner ou transmettre trois ordres de transfert. Ces derniers étaient en dehors de son pouvoir de représentation. Le gérant n’était pas en mesure de prouver qu’il aurait agi uniquement comme messager de ses clients. Lors des enquêtes, la banque avait admis que le gérant externe bénéficiait d’une confiance particulière, et que les ordres téléphoniques d’un gérant moins estimé n’auraient pas été exécutés sans confirmation écrite du client. C’est dire que la banque admettait que, dans sa pratique concernant ce gérant en particulier, elle n’appliquait pas le niveau de précaution considéré par elle-même comme approprié dans la collaboration avec les gérants externes. Le Tribunal fédéral a précisé que la banque était libre d’accorder des facilités de ce type à un gérant, mais qu’elle devait alors en assumer le risque. Renoncer de façon permanente ou habituelle aux précautions normales est une violation fautive du contrat conclu avec le client ; peu importe que la banque se croie autorisée à agir ainsi en raison de sa bonne opinion du gérant. Comme cette faute est seulement légère, l’équité n’autorise pas la banque à invoquer la clause de transfert de risque pour imputer au client le préjudice consécutif à ce qui est une simple préférence de sa part. Le fait que les avis de débit apparemment signés par l’un des clients aient été adressés après coup à la banque ne permet pas de disculper cette dernière, car celle-ci n’a pas réagi sur la base de ces documents qui ne lui sont parvenus qu’une semaine après.
Enfin, notre Haute Cour a souligné le fait que les ordres de transfert importants et rapprochés ne pouvaient aucunement, en l’espèce, être considérés comme des évènements banals dans le fonctionnement du compte des clients ; en particulier, une vérification aurait dû intervenir avant l’exécution du quatrième ordre de transfert. La banque a d’ailleurs commis une faute supplémentaire en ne discernant pas que les signatures des quatre documents reçus à l’occasion du dernier transfert étaient reproduites à partir d’un spécimen unique.
Pour tous ces motifs la banque a été condamnée à rembourser à ses clients l’intégralité des montants qui avaient été retirés par le gérant externe.