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Critères de responsabilité de la banque gestionnaire

Dans un arrêt rendu le 10 novembre 2006 (4C.158/2006), le Tribunal fédéral avait à juger, dans le cadre d’un recours en réforme, d’une action en dommage-intérêts intentée par un client contre une banque à qui il avait confié un mandat de gestion discrétionnaire. La valeur du portefeuille du client était passée en deux ans de CHF 1’000’000 à CHF 715’708, ce qui avait conduit ce dernier à résilier le mandat confié à la banque. Estimant que la banque avait violé ses obligations de diligence, il réclamait réparation d’une partie de son dommage.
Le Tribunal fédéral a d’abord eu l’occasion de confirmer sa jurisprudence antérieure relative à l’art. 100 al. 2 CO qui prévoit que dans la mesure où l’exercice de l’activité du mandataire est subordonnée à une concession de l’autorité, le juge pourra même tenir pour nulle une clause qui le libérerait d’une faute légère. Pour notre Haute Cour, l’exploitation d’une banque est une activité subordonnée à une concession de l’autorité, et il ne convient pas de distinguer selon l’activité spécifique exercée de la banque dans chaque cas particulier (la banque soutenait en effet qu’ayant agi dans le cadre d’un mandat de gestion la clause figurant dans son contrat de gestion et l’exonérant de toute responsabilité pour faute légère ne pouvait être tenue pour nulle par le juge). En l’espèce, la responsabilité de la banque, limitée à la négligence grave quant au choix des placements, avait à juste titre été tenue pour nulle par la dernière instance cantonale dès lors que la pesée des intérêts, entre celui du client à être protégé contre les conditions générales utilisées par la banque et celui de la banque à ne pas être exposée à des risques difficiles à éviter, penchait nettement en faveur du client.
Le Tribunal fédéral a également rappelé que la mesure de la diligence requise de la banque (le mandataire étant responsable envers le mandant de la bonne et fidèle exécution du mandat, selon l’art. 398 al. 2 CO) devait être déterminée d’après des critères objectifs, et que les banques agissant en qualité de mandataires professionnels (moyennant rémunération) le degré de diligence que le client pouvait attendre d’elles était accru. Le gérant de fortune doit surveiller l’évolution du cours des titres de bourse de son client et prendre les mesures qui s’imposent en cas de risque de pertes. Selon notre Haute Cour, les mesures à prendre se déterminent en premier lieu d’après les accords contractuels passés entre le client et le gérant. Dans le cas d’espèce, la banque était au bénéfice d’un très large pouvoir d’appréciation pour la gestion des avoirs de son client, lui permettant dès lors d’opter pour une politique de placement basée sur le long terme ; la banque était dès lors en droit, en cas de baisse générale des cours boursiers, de conserver les titres pour autant qu’il y ait eu des signes que les cours – soit en général, soit en ce qui concerne les titres figurant dans le portefeuille – allaient remonter. Pour le Tribunal fédéral, la dernière instance cantonale avait dès lors correctement jugé que la banque n’était pas tenue de vendre les titres qui enregistraient une baisse de 20 % en l’absence d’un odre de « stop loss » donné (par écrit ou oralement) par le client.
Ce dernier faisait encore valoir que si la banque avait établi son profil de risque, en vertu de la règle « know your customer« , elle aurait fixé une limite de pertes. En omettant d’établir ce profil, la banque aurait violé son devoir de diligence. Notre Haute Cour a relevé à cet égard que l’établissement d’un tel profil – qui permet de déterminer le risque qu’un client est disposé à accepter d’un point de vue tant objectif que subjectif, et qui en général fait partie des devoirs de diligence du gestionnaire -, sert à la conclusion du contrat de mandat de gestion et n’a pas de portée propre. C’est ainsi que si le client a donné son accord à une politique de gestion spéculative, il ne peut a posteriori tirer argument du fait que l’établissement d’un profil de risque (omis en l’espèce) aurait permis de conclure qu’une politique de gestion conservatrice aurait dû lui être appliquée au vu de sa situation personnelle ; un tel comportement serait abusif au sens de l’art. 2 al. 2 CC. L’argumentation du client a donc, dans cette affaire, été écartée sur ce point.
Enfin, le client – à qui la dernière instance cantonale avait donné partiellement raison dès lors qu’elle avait estimé que la banque aurait du vendre certains des titres (l’arrêt n’exposant cependant pas clairement pour quels motifs) – se plaignait du mode de calcul du dommage. Sans entrer dans le détail du cas d’espèce, on relèvera que le mode de calcul du dommage revêt une grande importance en pratique. Dans cette décision, le Tribunal fédéral a notamment rappelé qu’il ne faut pas prendre en considération l’intégralité du patrimoine du client pour mesurer le dommage, mais seulement les biens dont il a confié la gestion au gestionnaire ; de même, convient-il de distinguer selon que le client se plaint d’un mauvaise stratégie de gestion (auquel cas il faut prendre en considération l’entier du portefeuille du client pour apprécier la diminution de ses actifs, ou l’augmentation de ses passifs, voire encore son gain manqué) ou seulement de certains placements effectués dans son portefeuille (auquel cas il faut s’en tenir à ces seuls titres).