La directive européenne ne viole pas le droit à un procès équitable
Ursula Cassani
Arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 26 juin 2007 (affaire C-305/05, Ordre des barreaux francophones et germanophone, Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, Ordre des barreaux flamands, Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles / Conseil des ministres).
En vertu de l’article 2bis, point 5, de la directive 91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO L 166, p. 77), telle que modifiée par la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 décembre 2001 (JO L 344, p. 76, ci-après la « directive »), les membres des professions juridiques indépendantes et les notaires sont soumis aux obligations d’informer les autorités compétentes en cas de soupçon de blanchiment et de collaborer avec elles, lorsqu’ils participent à des transactions de nature financière ou immobilière ou agissent au nom et pour le compte de sociétés dans toute transaction financière ou immobilière. En revanche, en vertu de l’art. 6 point 3 de la directive, les Etats membres ne sont pas tenus d’imposer ces obligations aux notaires et membres des professions juridiques indépendantes « pour ce qui concerne les informations reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure ».
Le législateur belge ayant transposé les obligations découlant de la directive modifiée dans son droit national par une loi adoptée en 2004, plusieurs ordres des barreaux d’avocats ont introduit des requêtes demandant à la Cour d’arbitrage (devenue Cour constitutionnelle) de Belgique d’en annuler certains articles, au motif que l’obligation d’informer les autorités compétentes des soupçons de blanchiment serait contraire aux principes du secret professionnel et de l’indépendance de l’avocat. Dans ce contexte, la Cour d’arbitrage a saisi la Cour de justice des Communautés européennes d’une demande de décision préjudicielle sur la question de savoir si l’extension aux avocats des obligations d’information et de coopération avec les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux violait le droit à un procès équitable garanti au regard de l’art. 6 CEDH.
La réponse de la Cour de Justice européenne dans son arrêt du 26 juin 2007 est négative. En effet, les exigences découlant de l’art. 6 CEDH impliquent, par définition, un lien avec une procédure judiciaire. Or, les notaires et membres des professions juridiques indépendantes ne sont soumis à l’obligation d’informer les autorités et de coopérer avec elles, en vertu de l’art. 2bis point 5 de la directive, que pour des transactions qui, « [e]n règle générale […], en raison de leur nature même, se situent dans un contexte qui n’a pas de lien avec une procédure judiciaire et, partant, en dehors du champ d’application du droit à un procès équitable » (arrêt, ch. 33). Par ailleurs, souligne la Cour, l’avocat est exonéré des obligations d’informer et de coopérer dès le moment où il est sollicité pour l’exercice d’une mission de défense ou de représentation en justice ou pour l’obtention de conseils sur la manière d’engager ou d’éviter une procédure (arrêt, ch. 34).
La Cour de justice européenne laisse néanmoins subsister une marge de manœuvre pour la Cour constitutionnelle belge qui l’avait saisie, puisqu’elle relève que son examen se limite à la seule question qui lui a été soumise, soit celle de la conformité des dispositions pertinentes de la directive modifiée à la garantie d’un procès équitable (art. 6 CEDH). Ainsi, l’arrêt ne tranche pas la question de la conformité de ces mêmes dispositions aux garanties découlant de l’art. 8 CEDH, protégeant le droit au respect de la vie privée (arrêt, ch.19), dont le secret de l’avocat protège un aspect.