Placements collectifs
Projet de directive européenne sur les gestionnaires de fonds alternatifs : quelles répercussions sur la place financière suisse ?
Olivier Stahler
Le 30 avril 2009, la Commission des Communautés européennes a publié une proposition de directive du Parlement et du Conseil sur les gestionnaires de fonds alternatifs (ci-après la « Proposition de Directive »). La Proposition de Directive prévoit plusieurs règles spécifiques concernant les pays tiers, dont la Suisse. Ainsi que le relevait la Swiss Funds Association dans son communiqué de presse du 11 août 2009, il est à craindre que ces dispositions discriminent les Etats tiers par l’instauration de mesures protectionnistes.
Si le Parlement et le Conseil européens devaient retenir la Proposition de Directive dans sa teneur actuelle, le processus législatif serait encore long. La Proposition de Directive ne sera vraisemblablement pas adoptée avant 2010 et les Etats membres de la Communauté disposeront alors d’un délai de 18 mois pour transposer la Directive dans leur droit national. Cela étant, il nous apparaît que la Suisse doit d’ores et déjà s’interroger sur la portée de ce projet, notamment à la lumière de ses ambitions en matière de gestion alternative. On rappellera ici qu’en septembre 2007, les principales associations du secteur des services financiers avaient rendu public leur Masterplan pour la place financière suisse. En septembre 2007 également, la CFB publiait son rapport sur les hedge funds. Tant le Masterplan que le rapport de l’autorité de surveillance soulignaient l’intérêt de la place financière suisse à l’établissement de gérants de hedge funds en Suisse, mais aussi à la domiciliation de fonds alternatifs en Suisse.
La Proposition de Directive fait suite au récent rapport du Parlement contenant des recommandations sur les fonds alternatifs (rapport « Rasmussen ») et sur la transparence des investisseurs institutionnels (rapport « Lehne »). La crise financière explique sans aucun doute la rédaction relativement hâtive de la Proposition de Directive. On relèvera toutefois que dans l’exposé des motifs, la Commission reconnaît sans ambiguïté que les gestionnaires de fonds alternatifs n’ont pas été la cause de la crise financière. La Proposition de Directive vise non seulement les gestionnaires de fonds alternatifs tels que les hedge funds et les fonds de private equity, mais aussi tous les fonds qui ne sont pas soumis à la Directive OPCVM. Le point d’ancrage de la Proposition de Directive est le gestionnaire et non pas les véhicules d’investissement, qui pourront en principe continuer à être constitués à l’extérieur de la Communauté. La Proposition de Directive instaure un régime d’agrément et de surveillance des principaux gestionnaires. A l’instar de la Directive OPCVM, la Proposition de Directive prévoit que les gestionnaires peuvent commercialiser des fonds alternatifs à des investisseurs d’autres Etats membres de la Communauté selon une procédure de notification similaire à celle applicable aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières.
S’agissant de la problématique des rapports avec les pays tiers, et en particulier de la gestion de portefeuilles de fonds alternatifs par des gestionnaires suisses, la Proposition de Directive instaure un régime moins libéral que celui de la Directive OPCVM. On soulignera que, selon la Proposition de Directive, les activités de gestion et d’administration de fonds alternatifs sont réservées aux gestionnaires domiciliés et agréés dans la Communauté. Les gestionnaires ont toutefois la possibilité de déléguer des fonctions d’administration (mais non la gestion de portefeuilles de fonds) à des entités extraterritoriales, moyennant le respect de conditions strictes. Il résulte de ces dispositions que le gestionnaire de portefeuilles de fonds alternatifs devra avoir son siège dans la Communauté. Le gestionnaire européen ne pourra ainsi pas déléguer la gestion financière de fonds alternatifs à un gestionnaire suisse de placements collectifs dûment autorisé par la FINMA.
Toujours sous l’angle des rapports avec les pays tiers, la Proposition de Directive pose des conditions restrictives à la commercialisation de fonds alternatifs. Ces règles portent tant sur la distribution de fonds alternatifs domiciliés dans des pays tiers par des gestionnaires européens que sur la distribution en Europe par des gestionnaires établis dans des pays tiers. Selon la Proposition de Directive, la commercialisation de fonds alternatifs domiciliés dans un pays tiers présuppose notamment que ledit pays ait conclu avec l’Etat membre sur le territoire duquel le fonds alternatif doit être commercialisé, un accord basé sur l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE. La Proposition de Directive prévoit par ailleurs que 3 ans après la période de transposition de la Directive, les gestionnaires établis dans un pays tiers pourront commercialiser des fonds alternatifs dans la Communauté, aux conditions que le cadre règlementaire et les dispositifs de surveillance y soient équivalents à ceux de la Proposition de Directive, et que les gestionnaires établis dans la Communauté bénéficient d’un accès comparable au marché de ce pays tiers.
Les dispositions de la Proposition de Directive qui établissent des règles spécifiques concernant les pays tiers ont fait l’objet de nombreuses critiques. La European Venture Capital Association (EVCA), lors de sa prise de position sur la Proposition de Directive, a en particulier relevé que le régime applicable aux relations avec les Etats tiers est susceptible d’engendrer une fragmentation des marchés. La Proposition de Directive qui, comme indiquée, pose notamment des conditions d’équivalence en matière de réglementation prudentielle et de surveillance continue des gestionnaires, devrait par ailleurs relancer, et si possible, accélérer le processus législatif suisse visant à permettre aux gestionnaires suisses de fonds alternatifs de se soumettre à la surveillance de la FINMA. Dans son rapport de gestion 2007, la CFB soulignait déjà que la prochaine révision partielle de la LPCC devrait libéraliser les conditions limitatives d’autorisation des gestionnaires de placements collectifs étrangers (article 13 al. 4 LPCC). A l’évidence, la Proposition de Directive doit être prise très au sérieux par la place financière suisse si celle-ci entend jouer un rôle majeur sur le marché des fonds alternatifs.