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Blanchiment d’argent

Clarifications du TF en matière de défaut de vigilance (art. 305ter CP) et d'organisation criminelle (art. 260ter CP)

Dans un arrêt 6B_729/2010 du 8 décembre 2011 proposé pour la publication, le Tribunal fédéral saisit l’opportunité, d’une part, de préciser l’étendue du devoir d’identification sanctionné par l’art. 305ter CP et, d’autre part, de se pencher pour la première fois sur la question du blanchiment des valeurs patrimoniales appartenant à une organisation criminelle au sens de l’art. 260ter CP.
L’état de fait était en substance le suivant. X., responsable du secteur Amérique latine auprès de la banque B., a ouvert, le 6 juin 2003, une relation bancaire au nom d’une société panaméenne pour C., une cliente qui souhaitait, au travers de cette structure financière, faire apparaître son fils H. comme unique bénéficiaire des avoirs en compte. A l’ouverture du compte, C. a crédité celui-ci d’un montant de USD 3,6 millions. C. et son ex-compagnon J., également père de H., ont été arrêtés au Brésil le 30 octobre 2003 puis condamnés à des peines de réclusion pour association de malfaiteurs (en Suisse, organisation criminelle au sens de l’art. 260ter CP). J. était juge fédéral brésilien, information dont X. n’a eu connaissance qu’en novembre 2003, lorsque la presse a relaté l’affaire. D’autres procédures pénales étaient en cours contre C. et J. au Brésil et ce dernier a également été condamné en 2007 pour corruption passive.
Suite à ces faits, le Tribunal pénal fédéral a condamné X. pour défaut de vigilance en matière d’opérations financières et blanchiment d’argent, par arrêt du 1er juin 2010. Il a notamment été reproché à X., sous l’angle de l’art. 305ter CP, de ne pas avoir « correctement » identifié l’ayant droit économique. De l’avis du Tribunal pénal fédéral, le devoir d’identification allait au-delà des éléments de base (nom, prénom, domicile etc. de l’ayant droit économique) pour englober également des informations plus spécifiques, à déterminer au cas par cas, telles que l’identité ou les activités professionnelles des parents ou des proches d’un enfant mineur. Ceci aurait ainsi dû conduire X. à se renseigner sur les activités de J. et à qualifier la relation bancaire de PEP, en raison de la profession exercée par ce dernier. X. a recouru en matière pénale contre cette décision. Son recours a été partiellement admis.
Dans ses considérants relatifs au défaut de vigilance en matière d’opérations financières (consid. 3), le Tribunal fédéral distingue le devoir d’identification de l’ayant droit économique prescrit par l’art. 305ter CP (devoir qui trouve sa concrétisation dans l’obligation de documentation selon l’art. 7 LBA) de l’identification des risques accrus au sens de l’art. 6 LBA (dans sa teneur antérieure au 1er février 2009). Il admet que, bien que ces deux problématiques ne soient pas liées, elles ne peuvent toutefois pas être entièrement séparées l’une de l’autre. En effet, l’identité même de l’ayant droit économique peut révéler l’existence d’un risque accru, entraînant ainsi une obligation de clarification. De même, une identification initiale erronée de l’ayant droit économique imputable au client suggère également un risque accru.
En l’espèce toutefois, la question de savoir si une violation de l’art. 6 LBA peut être sanctionnée en vertu de l’art. 305ter CP est laissée ouverte. En effet, le Tribunal fédéral a jugé qu’on ne pouvait exiger de X., sous l’angle de la proportionnalité, qu’il procède à des investigations poussées sur les activités des proches de l’ayant droit économique en l’absence d’indices de risques accrus, comme c’était le cas en l’espèce. En effet, X. n’a eu connaissance du risque accru, à savoir de la qualité de juge fédéral du père de l’ayant droit économique, qu’en novembre 2003. Après cette date, le problème ne relevait plus de l’art. 305ter CP, mais de l’infraction de blanchiment d’argent.
Dans le cadre de l’examen de la violation par X. de l’art. 305bis CP (consid. 4), notre Haute Cour a en effet retenu que l’omission de procéder à des investigations plus poussées ainsi que de requalifier la relation de PEP dès novembre 2003 constituait des omissions propres à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales, fondant ainsi une condamnation pour blanchiment d’argent (consid. 4.4).
Dans ce cadre, notre Haute Cour examine également, et ceci pour la première fois, (i) à partir de quel moment les valeurs patrimoniales appartenant à une organisation criminelle au sens de l’art. 260ter CP peuvent être considérées comme provenant d’un crime au sens de l’art. 305bis CP et (ii) si la participation à une organisation criminelle peut en elle-même constituer un crime préalable dans le cadre de l’application de l’art. 305bis CP. Après examen des différents avis exprimés en doctrine, le Tribunal fédéral conclut que, dans la règle, une violation de l’art. 260ter CP ne constitue pas à elle seule un crime préalable au sens de l’art. 305bis CP. La preuve que des crimes ont été commis dans le cadre de l’organisation criminelle doit donc être rapportée, quand bien même des précisions excessives ne sauraient être exigées, le Tribunal fédéral faisant mention d’un lien « nécessairement ténu ». Ainsi, des valeurs patrimoniales appartenant à une organisation criminelle peuvent être considérées comme provenant d’un crime et sont dès lors susceptibles de fonder une condamnation pour blanchiment d’argent dès l’instant où il est prouvé (i) que l’organisation criminelle a commis des crimes et (ii) qu’il existe un rapport de causalité naturelle et adéquate entre les crimes considérés dans leur ensemble et les valeurs patrimoniales, en d’autres termes, que l’organisation n’aurait pas pu obtenir les valeurs patrimoniales en dehors de toute activité criminelle.
In casu, le Tribunal fédéral a jugé ce lien suffisamment établi. En effet, le jugement brésilien condamnant C. et J. a permis d’établir l’existence des crimes commis par l’organisation criminelle (en droit suisse les crimes de corruption passive, d’abus d’autorité, de gestion déloyale des intérêts publics, d’extorsion, de chantage et de blanchiment aggravé, cette dernière infraction ne concernant toutefois que C.). Le jugement brésilien a également permis d’établir un lien entre ces crimes et les valeurs patrimoniales versées sur le compte ouvert auprès de la banque B. Il démontre en effet, à la fois une communauté d’intérêts entre J. et C., et le fait que ni l’un, ni l’autre n’aurait pu gagner, dans toute leur existence, les sommes retrouvées en espèces au domicile de C. ainsi que les montants déposés en compte auprès de banques étrangères, l’origine successorale de ces fonds ayant également été exclue. Le Tribunal fédéral démontre ainsi clairement qu’un lien de causalité naturelle et adéquate entre chacun des crimes individualisés et les valeurs patrimoniales blanchies n’est pas exigé, un lien confinant à la vraisemblance étant suffisant.
L’arrêt du 8 décembre 2011 présente dès lors un double intérêt. D’une part, il apporte des clarifications bienvenues s’agissant du rôle joué par l’art. 260ter CP dans le cadre de l’application de l’art. 305bis CP, mettant ainsi fin, en partie du moins, aux controverses doctrinales à ce sujet. D’autre part, il laisse entendre qu’à l’avenir, une violation des obligations découlant l’art. 6 LBA pourrait entrainer une condamnation en application de l’art. 305ter CP, violation qui jusqu’ici relevait principalement de l’art. 305bis CP.