Aller au contenu principal

Loi sur les banques

Le Conseil fédéral veut exclure les comptes numériques de la garantie des dépôts

Les modifications de la loi sur les banques (ci-après « LB ») du 18 mars 2011, entrées en vigueur le 1er septembre de la même année, auraient presque pu passer comme une lettre à la poste. Presque. Depuis la fin décembre 2011, la place financière suisse est en émoi suite à une information reçue de l’Association Garantie des dépôts des banques et négociants en valeurs mobilières suisses. Par courrier du 23 décembre 2011, cette dernière a en effet annoncé à ses membres que, suite aux modifications précitées, les comptes numériques ouverts auprès de banques suisses ne bénéficieront plus du statut de « dépôts privilégiés », donc du système de garantie des dépôts bancaires.
Retour sur l’évolution récente du système de protection des déposants, dont l’objectif est de protéger les clients de banques établies en Suisse des risques d’insolvabilité et de faillite.
Le 9 octobre 2008, en pleine crise financière, les clients de la succursale genevoise d’une banque luxembourgeoise ont bénéficié du système de protection des déposants (voir Luc Thévenoz, commentaire n°607). La perte de confiance du public durant cette période mouvementée ainsi que les inquiétudes formulées quant au montant bénéficiant de la protection (jugé trop faible en comparaison internationale) ont poussé le Conseil fédéral à proposer, dans un Message daté du 5 novembre 2008, une modification urgente de la LB (voir Lionel Aeschlimann, commentaire n°620). L’une des mesures proposées préconisait de faire passer de 30’000 à 100’000 CHF le montant des dépôts privilégiés par créancier. Le projet fut bien accueilli et entra en vigueur le 20 décembre 2008.
Dans la mesure où il s’agissait d’une loi urgente dont la durée de vie était limitée, un réexamen de la situation s’avérait nécessaire. Le Département fédéral des finances s’est ainsi attelé à l’élaboration d’un projet de loi, qui fut mis en consultation par le Conseil fédéral le 11 septembre 2009 (voir Lucia Gomez Richa, commentaire n°645). Les participants à la procédure de consultation se sont toutefois montrés très critiques, voire négatifs, et nombre d’entre eux ont qualifié la réglementation envisagée d’excessive. Seul point sur lequel pratiquement tous les participants étaient d’accord : l’intégration dans le droit ordinaire des modifications urgentes décidées en décembre 2008. Une nouvelle loi urgente, adoptée le 17 décembre 2010 et entrée en vigueur le 1er janvier 2011, permit de maintenir le train de mesures relatif à la protection des déposants jusqu’au 31 décembre 2012 au plus tard, accordant ainsi au gouvernement un délai pour trouver un consensus.
Le consensus en question fut trouvé et la modification de la LB du 18 mars 2011 entra en vigueur le 1er septembre suivant, sans qu’aucun référendum ne soit déposé. Elle entraîna une modification de l’art. 37b al. 1bis LB, devenu l’art. 37a al. 1 LB, concernant la notion de dépôts privilégiés, modification qui n’aurait pas fait l’objet de discussions approfondies (voir Olivier Hari, commentaire n° 752). Les dépôts privilégiés comprenaient, jusqu’au 1er septembre 2011, les dépôts « qui ne sont pas libellés au porteur ». Depuis cette date, ceux-ci sont constitués des dépôts « libellés au nom du déposant ».
Fin décembre 2011, l’Association Garantie des dépôts des banques et négociants en valeurs mobilières suisses a attiré l’attention de ses membres sur la reformulation de cette disposition et sur les conséquences qu’elle a entraînées, savoir que les comptes numériques ne bénéficient plus, depuis le 1er septembre 2011, du système de protection des déposants. La modification n’avait pas été anticipée et a ainsi semé la confusion au sein de la communauté financière. De nombreuses banques ont par la suite contesté l’interprétation donnée par l’Association à l’art. 37a al. 1 LB.
Mais la Garantie des dépôts des banques et négociants en valeurs mobilières se serait trouvé un allié de poids : la FINMA. En effet, le 16 janvier 2012, cette dernière a annoncé l’ouverture d’une procédure d’audition sur la révision totale de son ordonnance sur la faillite bancaire (voir Ilias Pnevmonidis, commentaire n° 785). Le projet d’ordonnance prévoit, à son art. 24 al. 2, que « les créances non libellées au nom du déposant, notamment celles découlant de comptes à numéro, ou les créances libellées au porteur, à l’exception des obligations de caisse déposées auprès de la banque au nom du déposant, ne sont pas des dépôts au sens de l’art. 37a LB. […] ».
Qu’en est-il, donc ? D’une définition négative de la notion de dépôts privilégiés, la LB est passée à une définition positive, pour exclure du système de protection des déposants tous les dépôts qui ne sont pas expressément libellés au nom du client.
L’objectif, par ailleurs avoué, du Conseil fédéral (voir Message du 12 mai 2010, p. 3672) est d’exclure du champ de protection les comptes numériques, et ceci pour deux raisons : (i) la détermination de l’identité du titulaire d’un compte numérique par le mandataire nommé par la FINMA entraînerait, en pratique, un travail considérable, alors même qu’il s’agit d’agir rapidement, et (ii) l’inclusion des comptes numériques dans le système de protection des déposants entraînerait un risque de double protection d’un déposant, qui pourrait se voir indemniser une première fois en qualité de titulaire (secret) d’un compte numérique et une seconde fois en qualité de titulaire d’un (de) compte(s) nominatif(s). Deux précisions à cet égard.
D’une part, les obligations qui incombent à la banque lors de l’ouverture d’un compte numérique, notamment quant à l’identification du cocontractant et de l’ayant droit économique, sont en tous points identiques à celles relatives à l’ouverture d’un compte nominatif (art. 9 CDB 08 cum art. 32 al. 1 OBA-FINMA). La banque connaît toujours l’identité de son client, mais dans le cadre d’un compte numérique, cette information n’est accessible qu’à un nombre limité de personnes au sein de l’établissement.
D’autre part, les comptes et dépôts numérotés ou désignés par un code, y compris les placements fiduciaires, doivent être inclus dans les attestations relatives à l’ensemble des relations d’affaires avec un client (CDB 08, chiffre 57 cum art. 32 al. 1 OBA-FINMA). Les banques sont ainsi tenues de développer à l’interne un système qui leur permette de faire le lien, même indirectement, entre un individu et chacune de ses relations d’affaires, qu’il s’agisse de comptes nominatifs ou de comptes numériques, afin d’être en mesure de fournir des attestations complètes et véridiques.
L’argumentation du gouvernement se révèle dès lors peu convaincante. En effet, en théorie, l’organisation interne des banques devrait permettre d’éviter la matérialisation des risques avancés par le Conseil fédéral. Même en admettant qu’en pratique de telles difficultés surgissent, la solution retenue paraît pour le moins inéquitable. En effet, s’il se justifie de ne pas reconnaître un traitement privilégié aux dépôts libellés au porteur, dans la mesure où la banque ne connaît pas l’identité du titulaire et où celle-ci n’est pas consignée dans un registre, il n’en va pas de même des comptes numériques. Dans le cadre de ces derniers, la banque, non contente de connaître l’identité de son client, assume également une obligation de documentation (art. 2 et 3 CDB 08). Il devrait ainsi toujours s’avérer possible, au travers de la documentation conservée par la banque, de déterminer l’identité du titulaire d’un compte numérique.
Cette modification de la LB est donc regrettable à double titre. D’une part, elle rétrécit le cercle des déposants pouvant bénéficier du système de protection des dépôts, lors même que la confiance du grand public quant à la stabilité du système financier est basse et pourrait bénéficier d’un soutien solide. D’autre part, elle serait arrivée « par la porte de derrière » ; à défaut d’avoir été réellement discutée durant la procédure de consultation, elle a pris de nombreux acteurs de la place financière suisse par surprise. Il ne reste plus à ces derniers qu’à annoncer la mauvaise nouvelle à leurs clients titulaires de comptes numériques.