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Droit à l’information des héritiers

Suite et fin d'un "drame à l'italienne"

Le 22 mars dernier, dans son arrêt 4A_458/2011 destiné à la publication, le Tribunal fédéral a mis un point final, de façon inattendue, à une affaire ayant débuté en 2008 et sur laquelle il avait déjà eu à se prononcer une première fois en 2010.
L’arrêt qui nous occupe fait en effet suite à l’arrêt 4A_421/2009 (ATF 136 III 461, cf. commentaire n° 701), où notre Haute Cour avait eu à se prononcer sur la requête d’une veuve qui cherchait à obtenir des informations sur les avoirs détenus directement et indirectement (par quoi il faut entendre en qualité d’ayant droit économique) par feu son époux, un ressortissant italien domicilié en Suisse. Le Tribunal fédéral avait saisi l’occasion pour rappeler les deux fondements, contractuel et successoral, du droit à l’information des héritiers. La cause avait à l’époque été renvoyée à la Cour cantonale pour qu’elle complète les faits quant à la volonté du défunt, détermine le droit applicable à la succession et statue à nouveau.
Après avoir établi que le droit suisse était applicable (professio iuris du de cujus en faveur du droit suisse), la Cour cantonale a partiellement admis l’appel de la veuve, décrété que le délai de péremption d’un an de l’art. 533 CC pour introduire une action en réduction au sens des art. 522ss CC n’avait pas encore commencé à courir et ordonné à la banque de fournir à la recourante toute une série de documents. La banque a fait appel de ce jugement au Tribunal fédéral.
Notre Haute Cour analyse, dans le cadre de son jugement, la qualité d’héritière (réservataire) de la veuve du de cujus, pour arriver à la conclusion que cette dernière n’en est pas une et ne l’a même jamais été.
En effet, un héritier réservataire au sens l’art. 470 al. 1 CC n’est qu’un « héritier virtuel » dans les cas où il aurait été écarté de la succession par un pacte successoral ou un testament valable. Pour obtenir le respect de sa réserve et acquérir le statut d’héritier, celui-ci doit intenter l’action en réduction des art. 522 et 527 CC dans le délai d’un an prescrit par l’art. 533 CC. Le délai commence à courir dès l’instant où l’héritier a connaissance des éléments de fait qui justifieraient une action en réduction, notamment de l’atteinte portée à sa réserve. Le jugement rendu est ainsi formateur, en ce sens qu’il modifie la situation juridique avec effet rétroactif, en conférant à un héritier réservataire indûment exhérédé ou passé sous silence la qualité d’héritier dès le jour de l’ouverture de la succession.
C’est ainsi que le Tribunal fédéral a admis, par le passé, qu’un héritier réservataire potentiellement lésé dans sa réserve est en droit de requérir de la banque les informations nécessaires à une détermination approximative de la masse successorale, ce qui lui permettrait ainsi d’évaluer l’atteinte portée à sa réserve et, partant, de juger de l’opportunité d’introduire une action en réduction au sens des art. 522ss CC.
Or, dans le cas d’espèce, la recourante avait purement et simplement été écartée de la succession par un testament, dans lequel le de cujus léguait toute sa fortune à ses trois fils, à parts égales. Le Tribunal fédéral a ainsi estimé que la veuve du défunt avait eu connaissance de la lésion portée à sa réserve légale (et disposait donc de tous les éléments nécessaires à l’introduction d’une action en réduction) dès l’instant où elle a pris connaissance du contenu du testament, savoir en octobre 2007 déjà. L’action en réduction étant prescrite, la recourante n’était plus en mesure d’acquérir le statut d’héritière et n’était dès lors pas fondée à requérir des informations de la banque sur la base du droit successoral.
Bien qu’elle n’apporte pas de précisions quant aux contours du droit à l’information des héritiers fondé sur le droit successoral, cette décision a néanmoins le mérite de rappeler que la protection des réserves héréditaires n’est pas assurée d’office et que c’est à l’héritier réservataire de faire valoir son droit, sous peine de péremption.
La qualité d’héritier (réservataire, en ce qui concerne une action fondée sur le droit successoral) est d’autant plus importante, s’agissant des relations avec la banque, qu’elle conditionne à la fois le droit aux informations de nature contractuelle et celui de nature successorale. En effet, dans le cas d’espèce, la banque n’aurait même pas eu à fournir à la recourante les informations relatives aux comptes dont son défunt mari était titulaire, respectivement co-titulaire, (droit aux informations fondé sur le droit contractuel) faute pour cette dernière d’être son héritière et ainsi de lui succéder dans l’ensemble de ses droits et obligations au sens de l’art. 560 al. 1 CC.