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Contentieux fiscal US

Le Tribunal fédéral confirme le droit à la remise de copies de deux anciens employés d’une banque

Dans un arrêt destiné à publication du 12 janvier 2015 (4A_406/2014 ; 4A_408/2014), relaté par la presse, le Tribunal fédéral a confirmé le droit de deux anciens employés d’une banque (la « Banque  ») sous enquête des autorités américaines en matière fiscale à recevoir une copie des documents qui avaient été remis à ces dernières.

La Banque, au bénéfice d’une autorisation du Conseil fédéral du 4 avril 2012 basée sur l’art. 271 CP et sur recommandation de la FINMA, a transmis aux autorités américaines des documents contenant des données non-anonymisées relatives à des employés ou ex-employés. Les deux ex-employés ont pu consulter dans les locaux de la Banque les documents les concernant, mais n’ont pas été autorisés à en prendre copie. Le 6 septembre 2012, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (le « Préposé  ») a émis des recommandations selon lesquelles les banques doivent accorder aux personnes concernées le droit d’accès aux données selon l’art. 8 LPD, sans toutefois qu’une copie de documents doive être remise.

Le Tribunal de première instance de Genève (le « TPI  »), saisi par les deux ex-employés, a notamment ordonné à la Banque de produire une copie des documents transmis aux autorités américaines, en spécifiant que les données des clients, des autres employés et de tiers pouvaient être caviardées. Appelés à se prononcer suite au recours de la Banque, la Cour de Justice puis le TF ont tous deux confirmé la position du TPI.

Le TF a tout d’abord considéré que la Banque, en tant que maître du fichier, ne pouvait pas se fonder sur une loi au sens formel pour restreindre l’accès aux données litigieuses au sens de l’art. 9 al. 1 let. a LPD. L’art. 47 LB (sanction pénale de la violation du secret bancaire)  constitue certes une base légale formelle au sens de l’art. 9 al. 1 let. a LPD. La Banque ne pouvait toutefois s’en prévaloir en l’espèce en l’absence d’informations permettant d’identifier les clients. La Banque ne pouvait pas non plus invoquer dans ce cadre l’art. 162 CP (secrets commerciaux) dans la mesure où elle n’est pas elle-même visée par l’infraction en tant que personne tenue au secret.

Le TF a ensuite considéré que la Banque, en tant que maître du fichier, ne pouvait pas refuser ou restreindre la communication écrite des renseignements demandés sur la base de l’art. 9 al. 1 let. b LPD.  En effet, en l’espèce les intérêts de tiers (clients et autres tiers) étaient protégés par le caviardage des données les concernant et ne pouvaient donc l’emporter sur les intérêts des employés dans le cadre de l’art. 9 al. 1 let. b LPD.

Le TF a par ailleurs considéré que les intérêts de la Banque ne primaient en l’espèce pas ceux des employés concernés et ne pouvaient par conséquent justifier un refus ou une restriction sur la base de l’art. 9 al. 4 LPD :

  • Ainsi, s’agissant des intérêts de la Banque, le TF n’a pas retenu l’existence de motifs liés au respect du secret bancaire. D’une part, les données étaient caviardées. D’autre part, il n’existait aucun indice que les employés concernés transmettraient lesdites copies à un tiers en révélant le nom d’un client caviardé dont ils se seraient souvenus. Le TF ne retient pas non plus le risque lié à la dissémination de documents d’importance stratégique de la Banque, en l’absence d’élément concret établi en l’espèce quant à leur existence. Le risque de révélation à des tiers est par ailleurs relativisé par le TF par l’engagement contractuel des ex-employés qui leur impose de respecter le secret bancaire, respectivement le secret commercial.
  • S’agissant des intérêts des employés, ceux-ci sont liés à la facilité de consultation et aux possibilités de  comparaison que permettent ces copies, à la possibilité de les produire dans une éventuelle procédure contre la Banque, et enfin à la préparation de leur défense à l’égard des autorités américaines. Le TF considère que ces intérêts priment ceux de la Banque.

S’agissant d’une éventuelle renonciation par avance au droit d’accès, respectivement de l’acceptation d’une restriction, pouvant être contenue dans la réglementation interne de la Banque, le TF considère que celle-ci serait contraire à l’art. 8 al. 6 LPD et, partant, nulle.

Par ailleurs, l’art. 8 al. 5 LPD prévoit que les renseignements sont, en règle générale, fournis gratuitement et par écrit, sous forme d’imprimés ou de photocopies. Le TF ne tranche pas ici la question de savoir si d’autres exceptions non prévues par l’OLPD peuvent être envisagées, considérant qu’il n’y avait en l’espèce aucune circonstance concrète s’opposant à la remise d’une copie écrite.

Enfin, les Recommandations du Préposé, qui en l’espèce n’admettaient pas le droit à la réception d’une copie, ne sont pas contraignantes. Le TF reconnaît qu’elles doivent être prises en compte dans le cadre de la pesée des intérêts, ce qui en l’espèce n’a pas affecté sa conclusion.

Nous formulons au surplus les commentaires suivants :

  • L’arrêt est pertinent pour toutes les banques sous enquête des autorités américaines ou participant au programme américain de régularisation et ayant transmis/transmettant des documents aux autorités américaines. Il n’est toutefois pas exclu d’emblée qu’une banque puisse refuser certaines copies portant sur des documents qui seraient d’ « importance stratégique », élément non prouvé dans le cas d’espèce mais qui peut potentiellement être pris en compte dans le cadre de la pesée des intérêts (sous réserve du commentaire ci-dessous).
  • Le TF ne tranche pas la question de l’absence de communication à un tiers, condition posée à l’application de l’art. 9 al. 4 LPD et dont la réalisation avait été niée par la Cour de Justice de Genève en raison de la communication effectuée par la Banque aux autorités américaines. Le TF, excluant déjà l’application de l’art. 9 al. 4 LPD sous l’angle de la pesée des intérêts, ne se penche ainsi pas sur la question de savoir si la communication faite aux autorités américaines qualifie ou non de communication à un tiers au sens de cette disposition, au regard d’une obligation (factuelle voire juridique) qui incomberait à la Banque.
  • Les employés/ex-employés recevant les copies doivent bien entendu respecter le secret bancaire ainsi que le secret commercial (cf. art. 47 LB et art. 162 CP), ce que les banques devraient, respectivement voudront, leur rappeler. Incidemment, une communication de copies par ces employés/ex-employés à une autorité étrangère (par exemple non-américaine) en dehors des canaux de l’entraide pourrait contrevenir d’une part à leurs obligations en matière de confidentialité et, d’autre part (cas échéant), aux dispositions en matière de protection de la souveraineté (art. 271 CP en l’absence d’une autorisation ad hoc et art. 273 CP).