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Déductibilité fiscale d’une sanction financière

Amende pénale ou remboursement d’un bénéfice réputé illicite ?

En date du 26 septembre 2016, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt dans les causes n° 2C_916/2014 et 2C_917/2014 (arrêt destiné à la publication) relatif à la déductibilité fiscale d’une sanction financière prononcée par la Commission européenne contre une société suisse. Si cette jurisprudence vise certes une amende prononcée dans le cadre du droit (européen) de la concurrence, les considérants de cet arrêt sont riches en enseignements s’agissant du traitement fiscal réservé en Suisse aux sanctions financières.

En droit fiscal suisse, le revenu imposable d’une personne morale se détermine sur la base du bénéfice reflété dans ses états financiers (principe de déterminance ou Massgeblichkeitsprinzip). Toute charge justifiée par l’usage commercial est déductible du bénéfice brut, sous réserve d’une disposition légale contraire. Une telle disposition légale existe notamment s’agissant des « amendes fiscales ». Les articles 59 (1) (a) de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD) et 25 (1) (a) de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID) prévoient que les « amendes fiscales » (Steuerbussen / multe fiscali) ne sont pas déductibles fiscalement. La portée de cette exclusion de la déductibilité, qui avait fait l’objet d’intenses débats en doctrine, est au cœur de l’arrêt présenté ici.

Le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que la non-déductibilité fiscale ne se limite pas aux amendes fiscales suisses visées par le texte de la LIFD et de la LHID. Selon le Tribunal fédéral, une sanction administrative à caractère pénal (Verwaltungssanktion mit pönalem Charakter) ne constitue pas une charge justifiée par l’usage commercial et ne serait donc pas déductible fiscalement (consid. 7.5). En revanche, une sanction qui correspond à la restitution d’un bénéfice jugé illicite (gewinnabschöpfende Sanktion ohne pönalen Charakter) peut être déduite fiscalement (consid. 7.7). En effet, dans une telle hypothèse, le bénéfice en cause a, en principe, déjà été soumis à taxation. Le contribuable supporte le fardeau de la preuve qu’une sanction financière correspond, en tout ou en partie, à la restitution d’un bénéfice (consid. 8). Les coûts (notamment les frais d’avocats) engendrés par la procédure qui a donné lieu au prononcé de la sanction financière sont entièrement déductibles fiscalement (consid. 7.6).

Avant même la publication de cet arrêt, la question de la déductibilité fiscale des sanctions financières avait suscité des débats au Parlement. En date du 18 décembre 2015, le Conseil fédéral a publié un projet de « loi fédérale sur le traitement fiscal des sanctions financières », dont les grands principes peuvent être résumés ainsi :

  • Les sanctions financières (y compris les frais de défense) qui découlent (i) d’une violation du droit pénal ou administratif et (ii) qui ont un caractère pénal ne sont pas déductibles.
  • En revanche, une sanction financière qui correspond à la restitution d’un profit réputé illicite est déductible fiscalement.

La procédure de consultation relative à ce projet législatif est arrivée à échéance le 11 avril 2016, mais le calendrier parlementaire n’est pas encore connu à ce jour. Quoiqu’il en soit, l’on constate que, sous réserve de la question de la (non-)déductibilité fiscale des frais de défense liés à une sanction à caractère pénal, ce projet législatif reflète les considérants de l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral en application du droit actuellement en vigueur.

Dans une perspective pratique, l’on peut retenir que les sanctions financières à caractère pénal ne sont pas déductibles fiscalement. La déduction fiscale est en revanche admise pour une sanction financière qui correspond au remboursement d’un profit jugé illicite. Dans certains cas, les décisions des autorités (notamment étrangères) distinguent les différentes composantes d’une sanction globale, en mettant notamment en évidence la partie qui correspond à la restitution du bénéfice. Une telle distinction facilite la tâche du contribuable qui supporte le fardeau de la preuve, mais n’est, de loin, pas effectuée dans tous les cas (cf., par exemple, l’amende de la Commission européenne qui fait l’objet de l’arrêt présenté ici ou la penalty payée par les banques qui ont participé au Program for Non-Prosecution Agreements or Non-Target Letters for Swiss Banks en qualité de banques de la catégorie 2). Face à une sanction de type forfaitaire, il appartient au contribuable de démontrer (en se fondant, par exemple, sur la base légale de la sanction ou sur la formule de calcul applicable) que ce montant global représente, en tout ou en partie, le remboursement d’un bénéfice réputé illicite, ce qui devrait ouvrir la voie à la déductibilité fiscale. Cette question devra donc être examinée attentivement par les entreprises concernées et, cas échéant, faire l’objet de discussions avec les autorités fiscales.