Aller au contenu principal

Financement d’acquisitions immobilières par des personnes à l’étranger

Requalification en « crédit étranger » aux fins de la LFAIE

Dans un arrêt 2C_1093/2015 du 4 novembre 2016, destiné à la publication, le Tribunal fédéral a assimilé un prêt hypothécaire octroyé par une banque suisse à un « crédit étranger » aux fins de la LFAIE, en raison de la participation décisive à la relation contractuelle d’un des codébiteurs qui se trouvait être un ressortissant et résident étranger. Cette requalification a eu pour conséquence d’assujettir l’acquisition immobilière concernée au régime d’autorisation de la LFAIE.

De manière générale, la LFAIE limite l’acquisition d’immeubles (assujettis selon leur affectation) par des « personnes à l’étranger », et subordonne la validité et l’exécution de certains actes juridiques s’y rapportant à l’obtention d’une autorisation cantonale.

Est assujetti au régime de l’autorisation non seulement l’acquisition d’un droit de propriété sur un immeuble couvert par la loi, mais également tout acte juridique qui confère à une personne à l’étranger une position analogue à celle du propriétaire de l’immeuble (art. 4 al.1, let. g, LFAIE). Tel est notamment le cas si l’acquisition immobilière est financée par un crédit octroyé par une personne à l’étranger et que le montant du crédit place l’acquéreur dans un rapport de dépendance particulière à l’égard du créancier (art. 1 al. 2, let. b, OAIE). Ce cas de figure peut se produire lorsque le financement étranger représente plus des 2/3 de la valeur vénale de l’immeuble, en référence à la pratique du marché. Il est réputé néanmoins se réaliser si le financement excède 80 % de la valeur vénale de l’immeuble (cf. notamment arrêt 2C_219/2015 du 20.11.2015, c. 7.5.3). Ces principes s’appliquent également au financement des fonds propres d’une société immobilière (ibidem ; pour le financement des fonds de tiers : cf. art. 6 al. 2, let. d, LFAIE).

Dans l’arrêt précité, l’acquisition portait sur des immeubles sis à Fribourg et était réalisée exclusivement par une ressortissante suisse domiciliée à Dubaï. Le prix de l’acquisition était de 1.66 million de francs financé par les fonds propres de l’acquéreur (6 %), par la mise à disposition de fonds par l’époux de l’acquéreur (24.4 %), un ressortissant anglais domicilié à Dubaï, et par un prêt hypothécaire octroyé aux deux époux par une banque suisse (70 %). Selon le projet d’acte de vente, l’investissement de l’époux de l’acquéreur s’inscrivait dans un contexte matrimonial ordinaire et aucun droit réel ou autre droit lui conférant une position analogue à celle du propriétaire ne lui était accordé.

L’acquisition des immeubles n’était a priori pas assujettie à la LFAIE : les immeubles étaient acquis exclusivement par une ressortissante suisse ; les fonds mis à disposition par son époux se situaient bien en deçà du seuil des 2/3, respectivement des 4/5, de la valeur vénale des immeubles, et le solde provenait d’un prêt d’une banque suisse. C’était du moins l’opinion défendue par l’acquéreur concerné et retenue par les autorités cantonales compétentes.

Statuant sur recours de l’Office fédéral de la justice, le Tribunal fédéral s’est toutefois écarté de cette appréciation. Pour les juges de Mon-Repos, le prêt hypothécaire avait été uniquement octroyé sur la base de la situation économique de l’époux, ressortissant et résidant étranger. Tant les fonds mis à disposition par l’époux concerné (24.4 %) que le prêt hypothécaire obtenu grâce à ce dernier (70 %) devaient donc être assimilés à un crédit étranger. Le financement étranger correspondant à 94.4 % de la valeur vénale des immeubles déclenchait un assujettissement de l’acquisition à la LFAIE.

L’arrêt du Tribunal fédéral repose sur la fiction selon laquelle la participation décisive d’une personne à l’étranger à l’octroi d’un prêt visant à financer une acquisition d’un immeuble, implique nécessairement que cette personne puisse exercer une influence déterminante et acquérir une position analogue à celle d’un propriétaire. Si cette fiction peut s’avérer exacte lorsque la personne à l’étranger se voit conférer certains mécanismes contractuels de contrôle dans le cadre des rapports de crédit ou de couverture, elle devient plus discutable en l’absence d’un accord entre les parties à ce sujet, comme c’était en l’occurrence le cas.

Quoiqu’il en soit, l’arrêt du Tribunal fédéral devrait inciter les établissements de crédit à se poser la question de savoir si les biens immobiliers qu’ils financent et sur lesquels ils obtiennent des sûretés réelles ne sont pas soumis à un régime d’autorisation, non pas en raison de la nationalité ou la résidence de l’acquéreur, mais en raison de la participation déterminante d’une personne à l’étranger. En cas de doute, les établissements concernés devraient même inviter leurs clients à obtenir une décision de constatation de non-assujettissement auprès de l’autorité compétente.

On relèvera enfin que l’arrêt du Tribunal fédéral est susceptible de s’appliquer à d’autres situations. Si en l’espèce la « participation décisive de la personne à l’étranger dans la relation contractuelle » prenait essentiellement la forme d’un engagement solidaire, d’autres formes d’implication dans la relation de crédit sont envisageables. Notamment, l’octroi de sûretés personnelles, telles qu’un cautionnement ou un porte-fort, par une personne à l’étranger pourront, si elles sont décisives pour l’octroi du prêt, donner lieu à une requalification du prêt en crédit étranger aux fins de LFAIE. Reste dans cette hypothèse à voir si une telle requalification devra s’opérer sur l’intégralité du prêt ou seulement sur la partie excédentaire qui n’aurait pas pu être obtenue sans la participation de la personne à l’étranger concernée.