Aller au contenu principal

Blanchiment et infraction fiscale

Séquestre pour blanchiment d’une économie d’impôt

Depuis l’introduction, le 1er janvier 2016, de la révision du droit suisse permettant de réprimer le blanchiment du résultat d’une infraction en matière de fiscalité directe (art. 305bis al.  1 et 1bis CP) ou indirecte (art. 14 al. 4 DPA), des questions essentielles sont restées floues. On attendait donc avec une certaine impatience les premières jurisprudences. Rendue sur mesures provisoires et en début d’instruction, la décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) du 27 décembre 2017 se cantonne à une analyse « prima facie ». Ce nonobstant, les considérants du TPF annoncent les paramètres du débat que les tribunaux devront mener faute de réponse claire du législateur, en particulier sur la question de la provenance de l’infraction fiscale lorsque, comme c’est en général le cas, le contribuable n’obtient pas un remboursement mais réalise une économie d’impôt.

Dans cette affaire, la procédure pénale diligentée par le Ministère public de la Confédération (MPC) sur la base de communications relayées par le MROS concerne le soupçon de blanchiment d’argent commis sur des comptes d’entités juridiques dont les ayants droit économiques sont soupçonnés d’avoir fraudé le fisc israélien. Une procédure pénale est en cours en Israël, et les prévenus ont été arrêtés puis libérés sur caution.

En Suisse, les séquestres ordonnés par le MPC auprès de trois banques à Zurich, Zoug et Genève ont porté sur un montant global d’environ 10 millions de francs. Les recours interjetés contre ces mesures font valoir, entre autres, que les infractions en amont invoquées ne peuvent être qualifiées de soustractions d’impôt et encore moins d’escroqueries en matière de contributions, et qu’il n’y a aucun lien de connexité entre les valeurs séquestrées et les infractions alléguées.

Le TPF examine la question de savoir si les séquestres peuvent se fonder sur l’art. 263 al. 1 lit. d CPP, soit la probabilité que lesdits avoirs puissent être confisqués comme découlant directement et immédiatement de l’infraction de blanchiment d’argent dont la commission en Suisse est alléguée. Dans cette perspective, l’existence d’un soupçon initial est suffisante. En l’occurrence, l’infraction fiscale en amont du blanchiment serait une fraude commise par l’usage d’une fausse comptabilité, par laquelle des gains ou un chiffre d’affaires (cela n’est pas clair) de 20 millions d’euros par année auraient été dissimulés au fisc israélien. Par ailleurs, il y aurait aussi eu des escroqueries en matière de TVA et d’impôt anticipé. Des avoirs « issus » de ces infractions auraient été virés sur les comptes séquestrés. Toutes ces circonstances sont encore passablement obscures, raisons pour laquelle le MPC a demandé la coopération judicaire des autorités israéliennes.

S’agissant de l’application dans le temps, le TPF confirme que l’usage de faux qui caractérise la fraude fiscale qualifiée au sens de l’art. 305bis  al. 1bis CP doit avoir été commis après le 1er janvier 2016, tout comme l’escroquerie fiscale en matière d’impôts indirects (décision, consid. 9.7.3). La taxation est néanmoins considérée comme un évènement essentiel en matière d’impôts directs, car c’est à partir de ce moment-là que le résultat de l’infraction – l’économie d’impôt – existe comme objet de l’infraction de blanchiment (décision, loc. cit.).

Cette dernière affirmation n’est pas sans importance pour la question cruciale du lien de provenance entre l’infraction fiscale en amont et la valeur patrimoniale qui en est « issue ». Le TPF, citant la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 120 IV 365, consid. 1d ; ATF 137 IV 145, consid. 6.3 s.), considère que les économies d’impôt doivent en principe être considérées comme susceptibles de confiscation – en tous les cas dans le cadre de mesures provisoires (décision, consid. 10.2). Ainsi, les avoirs séquestrés sont, selon une analyse « prima vista », susceptible de confiscation (décision, consid. 10.2) et, par conséquent, de blanchiment d’argent. Cette affirmation est toutefois aussitôt tempérée par le constat que les difficultés juridiques dans l’établissement de la provenance délictueuse ne doivent pas être sous-estimées (décision, consid. 10.3). A cet égard, le TPF rappelle fort opportunément qu’une simple économie d’impôt n’est pas localisable dans une valeur patrimoniale déterminée et que faute d’objet du blanchiment, l’infraction ne peut être commise (décision, consid. 10.3). Admettre que l’intégralité du patrimoine du contribuable est contaminée mènerait à une extension injustifiée de la répression du blanchiment, alors que nier toute possibilité de blanchiment irait à l’encontre des buts de la législation de mise en œuvre des recommandations du GAFI. Le TPF plaide donc pour une théorie médiane qu’il renonce toutefois à esquisser dans le contexte de l’examen d’une mesure provisoire (décision, consid. 10.3).