Corruption transnationale
Cadre juridique relatif à la protection du lanceur d’alerte insuffisant
Katia Villard
Le 15 mars 2018, le Groupe de travail de l’OCDE a adopté le quatrième rapport d’évaluation de la mise en œuvre par la Suisse de la Convention de 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (la Convention).
Le rapport se divise en quatre chapitres. Le premier se concentre sur les sources de détection de l’infraction de corruption transnationale et aborde notamment la question de l’auto-dénonciation des personnes morales. Le sujet nécessite un détour par l’arsenal anti-blanchiment, dans le cadre duquel les évaluateurs reprennent certaines remarques formulées par le GAFI dans son rapport d’évaluation mutuelle de la Suisse de décembre 2016. Celles-ci s’articulent en particulier autour de l’inclusion, suivant l’activité menée, de certaines professions (avocats, notaires, fiduciaires) dans le champ d’application de la LBA, des défaillances du système en matière de déclarations d’opérations suspectes et de l’actuelle impossibilité du MROS de requérir des informations des intermédiaires financiers suisses sur la base de renseignements reçus d’un homologue étranger. Le second chapitre concerne l’action répressive et englobe donc enquêtes, condamnations et coopération internationale, notamment s’agissant du droit de recours des ayants droit contre la décision de clôture de l’entraide. Le troisième s’attache à la responsabilité pénale des entreprises, dont l’articulation des responsabilités entre les personnes physiques impliquées et l’entreprise. Le quatrième aborde des questions diverses, telles que le signalement de soupçons par le réviseur et la limitation des avantages publics aux sociétés condamnées pour corruption d’agents publics étrangers.
Les remarques du Groupe de travail exigent différentes réponses de la Suisse : amendements de la législation, « poursuite des efforts » notamment dans le cadre de l’adoption prévue de tel ou tel projet de loi, clarification du cadre juridique existant, sensibilisation des acteurs du secteur public ou privé, etc.
Les deux principaux enjeux qui se dégagent du rapport sont les suivants.
La critique la plus saillante concerne une pierre d’achoppement qui n’est pas nouvelle : la méfiance helvétique à l’égard du whistleblowing, qui constitue une source importante de détection des faits de corruption transnationale. Le rapport souligne l’insuffisance du cadre juridique relatif à la protection du lanceur d’alerte, en particulier dans le secteur privé. Le projet de loi modifiant le Code des obligations en gestation à Berne depuis cinq ans sur cette problématique ne trouve que très partiellement grâce aux yeux du Groupe de travail. Dans ce cadre, il appartient à la Suisse de présenter d’ici mars 2019 un rapport oral relatif à l’adoption d’une législation appropriée visant à la protection du whistleblower contre toute action discriminatoire ou disciplinaire.
La seconde problématique s’articule autour de la réponse pénale aux infractions de corruption transnationale. Si le rapport salue l’augmentation du nombre de poursuites depuis la troisième évaluation de la Suisse (décembre 2011), il se montre critique vis-à-vis du mécanisme sanctionnateur, lequel ne revêt pas le caractère proportionné, dissuasif et effectif exigé par la Convention. S’agissant des personnes physiques, les évaluateurs déplorent la faiblesse des peines imposées, en particulier la rareté des peines fermes, malgré la gravité de l’infraction de corruption transnationale. En ce qui concerne les personnes morales, les critiques sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, le rapport relève la modicité de l’amende maximale de CHF 5 millions prévue à l’encontre des entreprises. En outre, il se montre circonspect quant au (faible) montant des amendes effectivement prononcées. Le Groupe de travail regrette également l’inexistence, en droit suisse, de sanctions complémentaires à l’encontre des entreprises, du type inscription au casier judiciaire ou suspension de l’accès aux marchés publics. Dans un registre voisin, le rapport émet des réserves quant au type de procédure choisi pour la poursuite des infractions de corruption transnationale, en particulier à l’égard des entreprises. S’il reconnaît la célérité des procédures simplifiées et des ordonnances pénales, il regrette simultanément le défaut de transparence et de publicité qui les accompagne. Par ailleurs, l’usage de telles procédures spéciales ne doit pas priver les peines prononcées de leur caractère effectif, proportionné et dissuasif. Quant à la procédure de classement en échange d’une réparation fondée sur l’art. 53 CP, l’intérêt public à la poursuite des infractions de corruption transnationale constitue, aux yeux du Groupe de travail, un obstacle à son application.
La Suisse dispose d’un délai de deux ans pour présenter un rapport écrit sur la mise en œuvre de toutes les Recommandations formulées par le Groupe de travail.