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Révision du droit pénal administratif

Publication de l’avant-projet

Le 31 janvier 2024, le Conseil fédéral a mis en consultation l’avant-projet – tant attendu – de révision du droit pénal administratif. La procédure de consultation dure jusqu’au 10 mai 2024.

Pour mémoire, le droit pénal administratif est du droit pénal, avec cette particularité que la poursuite et le jugement des infractions sont de la compétence d’une autorité administrative fédérale, qui change selon le domaine concerné (p. ex. le Département fédéral des finances pour les infractions de droit pénal administratif aux lois sur les marchés financiers) (cf. art. 1 DPA et art. 50 LFINMA).

L’actuelle loi sur le droit pénal administratif se compose, malgré son titre, de quelques normes de fond mais essentiellement de dispositions de procédure. Elle date de 1974 et apparait largement obsolète. Le principal reproche qui peut, de manière générale, être effectué à l’encontre de cette loi est que le législateur d’il y a cinquante ans n’a pas assez tenu compte du fait que, nonobstant son application par une autorité administrative, la procédure pénale administrative doit satisfaire à toutes les garanties de procédure pénale. La jurisprudence n’a que partiellement corrigé le tir.

A l’époque de l’élaboration du code de procédure pénale fédéral, il avait été envisagé d’y incorporer la procédure pénale administrative mais l’idée a rapidement été abandonnée pour ne pas retarder le processus d’unification.

D’importance pratique considérable, le droit pénal administratif devait pourtant impérativement être modernisé et l’actuelle révision trouve sa source dans une motion parlementaire qui date de décembre 2014. Le temps écoulé depuis en dit long sur l’importance du chantier.

La nouvelle loi a été plus correctement baptisée « loi fédérale sur le droit pénal administratif et la procédure pénale administrative ». Sa structure n’a pas fondamentalement changé. Elle est constituée, tout d’abord, des règles de droit pénal général qui dérogent au code pénal suisse autrement applicable par analogie (art. 2 AP-DPA). Comme à l’heure actuelle, les infractions de droit pénal administratif se trouvent dans les lois spéciales, l’AP-DPA n’en contenant que quelques-unes. Les changements essentiels concernent les règles de procédure administrative, qui, au nombre de 85, passent à 284. De nombreuses dispositions du CPP – notamment sur les principes de procédure, les délais, les participants à la procédure, la défense, le déroulement de la procédure, les mesures de contrainte etc. – ont été reprises, au mot près, dans l’AP-DPA, avec les ajustements inhérents aux spécificités de la procédure pénale administrative. La procédure de scellés, qui a fait l’objet de plusieurs décisions controversées en matière de DPA, est ainsi désormais alignée sur le CPP (y compris s’agissant de la compétence des tribunaux cantonaux des mesures de contrainte en lieu et place de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral) (art. 180 s. AP-DPA). La possibilité d’ordonner des mesures de surveillance secrètes, actuellement prévue dans quelques lois spéciales (p. ex : art. 90a LPTh, art. 128a LD), est désormais ancrée dans l’AP-DPA (art. 218 ss AP-DPA). Certaines mesures de surveillance secrètes particulièrement incisives – p. ex. la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (art. 218 AP-DPA) –, ne sont toutefois possibles que pour quelques infractions spécifiques qui ne concernent a priori pas les établissements financiers. En revanche, d’autres mesures, telle la surveillance des relations bancaires, peuvent être mises en œuvre pour tout crime ou délit de droit pénal administratif, à l’exception donc des contraventions (art. 236 AP-DPA).

En (très) résumé, la novelle consacre une « vraie » procédure pénale administrative.

A ce stade, la déception provient de deux règles de fond, à notre sens aujourd’hui insatisfaisantes, et que l’avant-projet ne modifie pas.

Premièrement, l’art. 11 al. 4 AP-DPA entérine la jurisprudence du Tribunal fédéral, abondamment critiquée en doctrine (cf. notamment Macaluso/Garbarski ; Burgener/Villard), selon laquelle le prononcé pénal de l’administration interrompt la prescription de l’action pénale. La règle, outre les critiques dogmatiques qu’elle mérite, n’est pas pour encourager les autorités à la célérité.

Secondement, l’avant-projet a renoncé à s’atteler à la problématique de la responsabilité pénale de l’entreprise pour les infractions de droit pénal administratif. Il a préféré s’en tenir, dans une large mesure, à la construction actuelle, à savoir une responsabilité subsidiaire de l’entreprise lorsque l’enquête rendrait nécessaires à l’égard des personnes physiques punissables des mesures d’instruction hors de proportion avec la gravité de l’infraction, en d’autres termes lorsque ces personnes ne sont pas identifiées (dans la DPA actuelle, la disproportion est entre les mesures d’enquêtes et la peine encourue). En outre, selon la DPA d’aujourd’hui, la responsabilité de l’entreprise suppose encore que l’amende entrant en ligne de compte ne dépasse pas CHF 5’000.-. Certaines lois spéciales reprenant le mécanisme de l’art. 7 DPA prévoient toutefois des montants plus élevés. Tel est le cas de l’art. 49 LFINMA (CHF 50’000.-) ou de l’art. 125 LD (CHF 100’000.-). L’art. 7 AP-DPA abroge ces dispositions et fixe un montant uniforme pour le maximum de l’amende encourue à CHF 50’000.-.

La norme n’est pas satisfaisante pour l’entreprise qui encourt, de l’aveu même du rapport explicatif, une responsabilité sans faute. La responsabilité pénale des personnes morales étant désormais largement admise par les ordres juridiques nationaux et ses justifications – notamment dans l’idée de concilier le principe de culpabilité avec la punissabilité d’une entité abstraite – abondamment thématisées par la doctrine, la construction choisie n’apparait pas en accord avec les modèles contemporains de responsabilité d’une entreprise.

L’art. 7 AP-DPA n’est pas davantage approprié sous l’angle des impératifs de répression. A tout le moins dans les constellations qui laissent apparaitre une culture d’entreprise défaillante incitant à la commission d’infractions, une responsabilité parallèle de l’entreprise, aux côtés de celle des personnes physiques impliquées, se justifie.