Perquisition de documents bancaires en DPA
Le titulaire du compte bancaire est légitimé à requérir la mise sous scellés
Romain Dupuis
Dans un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure de droit pénal fiscal, le Tribunal fédéral admet le recours formé par les titulaires de comptes bancaires auxquels la légitimation de requérir la mise sous scellés de la documentation produite avait été déniée (arrêt 7B_99/2022 du 28 septembre 2023).
Le contexte peut être brièvement résumé comme suit.
Sur autorisation du Département fédéral des finances, l’Administration fédérale des contributions (AFC) mène une enquête pour soupçons de commission de graves infractions fiscales à l’encontre de deux personnes physiques et d’une société. La procédure est régie par la loi fédérale sur le droit pénal administratif (DPA).
Dans le cadre de son enquête, l’AFC ordonne à six banques de produire la documentation relative aux comptes dont A, l’un des individus faisant l’objet de la procédure, était titulaire, ayant droit économique ou signataire sur une période de quatre ans. Les banques transmettent rapidement les documents requis.
Les titulaires des comptes visés (A, son coprévenu B ainsi que certaines sociétés) s’opposent à la perquisition de la documentation produite – et requièrent par conséquent sa mise sous scellés (art. 50 al. 3 DPA) – au motif que celle-ci comprend des documents liés à leurs comptes.
Le responsable de l’enquête auprès de l’AFC refuse cependant de procéder à la mise sous scellés. Cette décision est confirmée, sur plainte, par le directeur de l’AFC puis, sur recours, par la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral.
Le Tribunal fédéral doit par conséquent se pencher sur la question de savoir si les personnes qui allèguent être titulaires des comptes bancaires visés par l’ordre de dépôt sont légitimées à requérir l’apposition de scellés.
Au sens de l’art. 50 al. 3 DPA, c’est en principe le « détenteur des papiers » (soit, dans le cas d’espèce, les banques) qui est en droit de s’opposer à la perquisition et de requérir la mise sous scellés. Le Tribunal fédéral rappelle toutefois sa jurisprudence selon laquelle peuvent être légitimés les tiers qui pourraient avoir un intérêt juridiquement protégé au maintien du secret des documents, indépendamment de leur maîtrise effective sur ceux-ci. Cette exception vise par exemple le secret professionnel de l’avocat ou le secret médical, mais permet également au titulaire d’un compte bancaire de requérir la mise sous scellés des documents relatifs à son propre compte.
S’il est reconnaissable pour l’autorité d’instruction que l’on se trouve dans une telle situation, il peut alors s’imposer d’accorder à des tiers qui ne sont pas détenteurs des documents le droit de demander la mise sous scellés. Les tiers en question ont toutefois l’obligation d’exposer dans leur demande les motifs pour lesquels ils sont légitimés à requérir les scellés. En l’absence d’une telle motivation, la demande de scellés peut être rejetée.
En revanche, si un intérêt juridiquement protégé au maintien du secret est invoqué, l’autorité d’instruction est en principe obligée de donner suite à la demande. Sous réserve des cas où cette demande est manifestement infondée ou abusive, le bienfondé des motifs invoqués doit être examiné par le juge dans la procédure de levée des scellés.
Le Tribunal fédéral constate en l’espèce que les recourants ont fait valoir dès la production de la documentation bancaire par les banques que celle-ci concernait des comptes dont ils étaient titulaires et était protégée par le secret privé. Les recourants avaient également invoqué le fait que certains documents n’entraient pas dans le cadre des faits faisant l’objet de l’enquête, de sorte que leur perquisition était disproportionnée. Un motif d’opposition à la perquisition avait donc bel et bien été allégué.
Par ailleurs, l’AFC ayant provisoirement apposé des scellés sur la documentation reçue dans l’attente d’une décision relative à la légitimation des recourants, il était impossible d’infirmer immédiatement le motif invoqué par ces derniers (dès lors que les pièces n’avaient pas pu être examinées).
Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral considère, conformément à sa jurisprudence, que les recourants auraient dû se voir reconnaître la légitimation de requérir la mise sous scellés. La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, quant à elle, aurait dû engager d’office une procédure de levée des scellés afin d’examiner le bienfondé des motifs invoqués et de procéder au tri des pièces devant éventuellement être écartées ou caviardées.
En d’autres termes, le Tribunal fédéral rappelle que l’autorité pénale ne peut pas éviter une procédure de levée des scellés en déniant la légitimation aux personnes intéressées au seul motif que la demande de scellés n’identifierait pas les documents à écarter ou à caviarder (cf. Andrew Garbarski / Louis Frédéric Muskens, Légitimation active pour requérir la mise sous scellés en procédure pénale administrative, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 14 novembre 2023).
En réalité, il suffit de rendre vraisemblable dans la demande un motif d’opposition à la perquisition (étape 1). Pour autant que celui-ci ne soit pas manifestement infondé ou abusif, c’est dans la procédure de levée de scellés que le tri effectif des pièces doit ensuite avoir lieu (étape 2).
Le Tribunal fédéral reproche en somme à l’AFC et à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral d’avoir confondu ces deux étapes.
Cet arrêt sonne comme un rappel à l’attention des autorités de poursuite pénale qui auraient tendance à vouloir s’épargner de longues (et parfois fastidieuses) procédures de levée des scellés en déniant trop rapidement aux personnes intéressées la légitimation de requérir la mise sous scellés au motif que leur demande ne serait pas suffisamment détaillée.