Services financiers
La publication d’un prospectus d’émission pour les PME
Pascal Favrod-Coune
En matière de publication d’un prospectus d’émission, la Suisse va connaître un changement de paradigme avec l’entrée en vigueur prévue le 1er janvier 2020 de la Loi fédérale sur les services financiers (LSFin), adoptée le 15 juin 2018, et de l’ordonnance sur les services financiers (OSFin), dont le projet est actuellement en consultation jusqu’au 6 février 2019. Plusieurs nouveautés juridiques vont voir le jour et devraient conduire à la création d’un « level playing field » en matière de prospectus concernant l’émission de tout type de valeurs mobilières. Ce commentaire se concentre sur les règles pertinentes concernant l’obligation de publier un prospectus d’émission pour les petites et moyennes entreprises (PME) suisses à la recherche de financement.
Sous l’empire de la LSFin, la publication d’un prospectus d’émission n’est pas systématiquement requise pour une PME ou peut l’être parfois sous une forme allégée. En effet, la LSFin contient tant la possibilité de créer des allègements en matière de prospectus que de véritables exceptions d’en publier un.
L’art. 47 al. 1 LSFin délègue au Conseil fédéral la possibilité de prévoir des allègements pour une large majorité des PME, à savoir celles qui ne dépassent pas deux des valeurs suivantes : (i) un total du bilan de CHF 20 millions, (ii) un chiffre d’affaires annuel de CHF 40 millions ou (iii) 250 emplois annuels à plein temps en moyenne.
Dans le projet d’ordonnance, aucun allègement en faveur des PME ne ressort explicitement des dispositions légales. L’art. 57 al. 1 P-OSFin dispose en effet que les allègements sont signalés ponctuellement dans les annexes 1 à 5 de l’ordonnance. Selon ces annexes, seul un allègement en faveur des PME peut toutefois être observé. Il concerne la publication d’informations relatives aux comptes annuels de la société (chiffre 2.8.1 de l’annexe 1 du projet d’ordonnance), puisque, d’après le rapport explicatif du Conseil fédéral, les PME doivent pouvoir lever des capitaux rapidement après leur création. Ainsi, dans le cas où elles possèdent un « track record », elles peuvent publier des comptes annuels vérifiés selon une norme reconnue de présentation des comptes, étant précisé qu’une révision limitée de ceux-ci est admise.
Il ressort du projet d’ordonnance que le Conseil fédéral a renoncé dans une large mesure à prévoir de plus amples allègements en faveur des PME. Dès lors, pourquoi n’avoir pas exploité plus extensivement la possibilité laissée par l’art. 47 al. 1 LSFin ? La raison réside notamment dans l’ampleur qu’ont prise les véritables exceptions à la publication d’un prospectus à la suite du vote de l’Assemblée fédérale.
La LSFin prévoit deux types d’exceptions à l’obligation de publier un prospectus d’émission : selon le type d’offre (art. 36 LSFin) et selon le type de valeurs mobilières offertes (art. 37 LSFin). Dans le contexte d’une levée de capitaux pour une PME, toutes ces exceptions ne sont pas utiles. Certaines sont néanmoins d’une grande importance pour ces sociétés, en particulier les exceptions concernant le type d’offre.
À notre sens, l’exception la plus pertinente pour les PME est celle de l’art. 36 al. 1 let. e LSFin, qui dispose qu’aucun prospectus ne doit être publié pour les offres au public qui ne dépassent pas une valeur totale de CHF 8’000’000.-, calculée sur une période de douze mois. Le plafond de cette exception a été augmenté plusieurs fois durant les discussions aux Chambres. Alors que le projet de loi prévoyait un plafond de CHF 100’000.- seulement, ce montant a ensuite été, sur proposition du Conseil des États, élevé à CHF 2’500’000.- puis enfin à CHF 8’000’000.-. Cette augmentation s’explique par le désir d’adapter le droit suisse au droit européen puisque le règlement Prospectus (règlement UE 2017/1129 du 14 juin 2017) donne aux États membres la possibilité de prévoir un plafond compris entre EUR 1’000’000.- et EUR 8’000’000.- (art. 3 § 2 let. b et considérant 13 dudit règlement).
Une autre exception peut également se révéler utile aux PME. L’art. 36 al. 1 let. b LSFin prévoit qu’une offre effectuée à moins de 500 investisseurs ne donne pas lieu à une obligation de publier un prospectus. Puisque cette exception était limitée à l’offre effectuée à moins de 150 investisseurs dans le projet de loi, le nombre maximal retenu dans la version destinée à entrer en vigueur est approximativement trois fois plus élevé que dans le projet original.
Il ressort de ce qui précède que certaines exceptions instaurées par la LSFin sont, en définitive, largement plus étendues qu’initialement prévu dans le projet de loi soumis aux Chambres par le Conseil fédéral. Cela justifie en partie l’absence d’allègements supplémentaires en faveur des PME dans le projet d’ordonnance, le Conseil fédéral ayant en effet estimé que celles-ci pouvaient souvent recourir à ces exceptions. De surcroît, il considère que « d’une part, les plus petites entreprises n’ont souvent, de par leur nature, aucune donnée à fournir et peuvent laisser vierges les rubriques correspondantes du prospectus. D’autre part, l’investisseur a légitimement droit à la transparence, y compris pour les PME ».
En fonction de l’évolution du droit des prospectus européen, la situation pourrait changer à l’avenir. En effet, par le biais de l’art. 15 du règlement Prospectus, l’Union européenne (UE) a créé un « prospectus de croissance ». Certaines entreprises en dehors du marché réglementé, notamment les PME, peuvent établir un tel prospectus, pour lequel un régime d’information simplifié s’applique. En application de l’art. 15 § 2 du règlement Prospectus, la Commission européenne doit adopter d’ici au 21 janvier 2019 des actes délégués pour compléter le règlement, afin de préciser le contenu allégé, la forme normalisée et l’ordre des parties du prospectus. À l’heure actuelle, ces actes délégués n’ont pas encore été publiés.
Selon les choix effectués par la Commission européenne dans ses actes délégués, le Conseil fédéral pourrait également décider de prévoir de plus larges allègements en faveur des PME. En pratique, il s’agira d’éviter des désavantages concurrentiels pour les PME suisses par rapport à celles de l’UE. Le Conseil fédéral a annoncé suivre attentivement les développements dans l’UE, et agir sans tarder en fonction de ceux-ci pour adapter l’OSFin. Dès lors, le nouveau droit suisse des prospectus pourrait encore être modifié, et cela avant même son entrée en vigueur.