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Entraide pénale internationale

Les données Falciani dans le viseur du TPF

Les données bancaires volées par Hervé Falciani n’ont pas fini d’occuper nos tribunaux. Après plusieurs arrêts relatifs à l’assistance administrative en matière fiscale, c’est au tour du Tribunal pénal fédéral (TPF) de se pencher sur la question d’une demande d’entraide en matière pénale fondée probablement sur des données bancaires volées (RR.2017.338 du 17 juillet 2018).

Commençons avec un bref rappel des diverses bases légales qui ancrent le principe de la bonne foi dans la loi en matière d’entraide internationale. C’est tout d’abord la Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi (art. 26 CV). En droit interne, l’art. 7 let. c LAAF prévoit expressément qu’il n’est pas entré en matière sur une demande d’assistance administrative en matière fiscale lorsque celle-ci viole le principe de la bonne foi, notamment lorsqu’elle se fonde sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse.

Devant préciser la portée de l’art. 7 let. c LAAF, le Tribunal fédéral a récemment rendu deux arrêts, l’un admettant, l’autre refusant une demande d’assistance en matière fiscale en relation avec les données Falciani.

  • L’ATF 143 II 224 (Hirsch, LawInside.ch/429) concernait une demande d’assistance en matière fiscale déposée par la France, laquelle avait expressément indiqué à la Suisse qu’elle n’utiliserait pas les données Falciani. En violation du principe de la bonne foi, la France avait tout de même utilisé ces données afin de déposer une demande d’assistance. Même si la demande ne se fondait pas directement sur les données volées, le lien indirect avec ces données suffisait à confirmer un lien de causalité entre ces dernières et la demande d’assistance. Partant, le Tribunal fédéral avait considéré que la France avait violé le principe de la bonne foi et la demande d’assistance devait de ce fait être rejetée.
  • L’arrêt 2C_648/2017 du 17 juillet 2018 (Fabien Liégeois, cdbf.ch/1021) concernait également une demande d’assistance en matière fiscale mais provenant de l’Inde. Contrairement à la France, l’Inde n’avait pas voulu indiquer à la Suisse si les données sur lesquelles elle fondait sa demande d’assistance étaient les données Falciani. Or, le principe de la bonne foi entre États est présumé. Dès lors, et même si l’Inde n’avait pas confirmé à la Suisse l’origine licite de ces données, il ne pouvait être retenu que l’État requérant s’était fondé sur des données volées. L’assistance administrative avec l’Inde devait ainsi être admise (jurisprudence confirmée récemment dans l’arrêt 2C_88/2018 du 7 décembre 2018).

Nous en arrivons maintenant à notre troisième cas, celui de la Grèce.

Dans le cadre de procédures pénales pour corruption active et passive d’agents publics et blanchiment d’argent, les autorités pénales grecques déposent une demande d’entraide judiciaire auprès des autorités helvétiques visant des comptes ouverts auprès d’une banque genevoise. L’avocat de deux détenteurs des comptes bancaires informe les autorités suisses que la demande d’entraide se fonde sur les données Falciani. Le MPC admet tout de même l’entraide. Le détenteur d’un compte saisit alors le Tribunal pénal fédéral.

Après avoir rappelé les développements jurisprudentiels récents dans le domaine de l’assistance internationale en matière fiscale (cf. ATF 143 II 224 susmentionné), le Tribunal pénal fédéral considère que, s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que la demande d’entraide judiciaire est fondée sur des données bancaires volées et que l’autorité requise ne dissipe pas ces soupçons, l’entraide judiciaire ne peut pas être accordée.

En l’espèce, ces soupçons existent vu que les données des personnes visées par la demande d’entraide se trouvaient parmi les données Falciani. La Grèce n’ayant pas réussi à dissiper ces soupçons, le TPF admet le recours de la personne visée par la demande d’entraide et annule la décision de clôture.

Le recours contre cet arrêt a été déclaré irrecevable par le Tribunal fédéral (1C_374/2018 du 12 novembre 2018). En effet, l’arrêt du TPF ne constitue pas un arrêt définitif mais une décision incidente puisque le MPC doit encore rendre une décision de clôture au sens de l’art. 80d EIMP.

Bien que cet arrêt concernant la Grèce semble plus se rapprocher du cas de l’Inde que celui de la France, le TPF parvient à une conclusion différente. Cela peut s’expliquer de deux manières.

Premièrement, l’arrêt du TPF a été rendu avant la publication des deux arrêts du TF concernant l’Inde. Le TPF fait ainsi expressément référence à la jurisprudence du TAF mentionnée dans le cas de l’Inde, en précisant que cette jurisprudence n’a pas été confirmée par le TF. Elle l’a toutefois été depuis lors. Ainsi, il est possible que la jurisprudence du TPF ne soit déjà plus conforme à la récente jurisprudence du TF selon laquelle « le fait que la demande se fonde sur des renseignements obtenus au travers de données volées ne suffit pas à en conclure à un comportement contraire à la bonne foi de l’État requérant ; encore faut-il examiner les circonstances d’espèce, notamment la possibilité que les données volées ne fassent que confirmer des renseignements déjà en possession de l’État requérant » (2C_88/2018, c. 5.4).

Deuxièmement, la jurisprudence en matière d’entraide pénale peut diverger de la jurisprudence applicable pour l’entraide administrative en matière fiscale. En effet, dans un obiter dictum, le Tribunal pénal fédéral rappelle expressément qu’en matière pénale, l’entraide est également rejetée lorsque les données bancaires ont été volées à l’étranger, ce qui n’est pas le cas en assistance administrative (cf. ATF 143 II 202, Fabien Liégeois, cdbf.ch/969). La jurisprudence pourrait ainsi également être différente quant au degré de preuve à apporter pour renverser la présomption de bonne foi de l’État requérant.

La demande d’entraide de la Grèce étant à nouveau pendante devant le MPC, il est possible que cette affaire remonte au TPF, voire au TF. Nos instances judiciaires fédérales pourront alors préciser si la jurisprudence en matière d’entraide pénale diverge effectivement de celle applicable en matière d’assistance fiscale, ou si cette nouvelle jurisprudence du TPF est conciliable avec la très récente jurisprudence du TF développée dans le cas de l’Inde.