Aller au contenu principal

Sanctions internationales

Le blocage en vertu de la LVP, une mesure à part

Une personne figurant sur une liste des sanctions peut-elle obtenir sa radiation au motif que d’autres États ont levé les sanctions contre elle ? Non, estime le TAF dans un arrêt du 13 mai 2019, rejetant ainsi la demande d’un ex-député ukrainien figurant sur la liste des personnes politiquement exposées (PPE) sanctionnées par la Confédération en lien avec le contexte en Ukraine.

Le nom de l’intéressé a été inscrit dans l’annexe à l’O-Ukraine en février 2016. En décembre 2017, il a demandé sa radiation auprès du DFAE, qui l’a refusée. Il a recouru devant le Tribunal administratif fédéral en concluant à sa radiation de l’annexe de l’O-Ukraine.

Dans son arrêt, le TAF rappelle qu’une radiation au sens de l’art. 20 de la Loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite (LVP) n’est possible que si les conditions cumulatives de l’art. 3 LVP sont remplies. Il analyse les conditions de l’art. 3 al. 2 let. c et 3 al. 3 LVP, les autres conditions n’étant pas contestées par le recourant.

L’art. 3 al. 2 let. c LVP dispose que le blocage de valeurs patrimoniales est admissible s’il apparaît vraisemblable que des telles valeurs ont été acquises par des actes de corruption ou de gestion déloyale ou par d’autres crimes, sans préciser toutefois le degré de vraisemblance requis. Le TAF retient que de simples indices laissant entrevoir une origine illicite des valeurs concernées suffisent au Conseil fédéral pour pouvoir prendre les premières mesures provisionnelles au sens de la LVP.

Avant d’ordonner le blocage, le Conseil fédéral se renseigne sur la position des principaux États partenaires et organisations internationales et coordonne son action avec eux (art. 3 al. 3 LVP). Le TAF considère toutefois que le Conseil fédéral n’est pas lié par les décisions prises à l’étranger et qu’il demeure libre de déterminer les mesures à adopter. Ainsi, l’art. 3 al. 3 LVP ne contraint pas les autorités suisses à abandonner une mesure de blocage à laquelle des États étrangers auraient renoncé.

Le droit européen est plus exigeant que le droit suisse s’agissant du maintien du nom d’une PPE dans une liste de sanctions, tant au niveau du degré d’incrimination que du comportement visé. En droit suisse une simple vraisemblance « que les valeurs patrimoniales [aient] été acquises par des actes de corruption ou de gestion déloyale ou par d’autres crimes » (cf. art. 3 II let. c LVP) suffit, alors que le droit européen exige que les personnes concernées soient identifiées comme étant responsables de détournement de fonds publics (cf. art. 1 al. 1 Décision 2014/119/PESC).

En l’espèce, le TAF retient que la radiation des listes européennes a été prononcée en raison de l’insuffisance de preuves établissant un détournement de fonds et que le recourant n’a apporté aucun élément qui prouverait que les valeurs patrimoniales bloquées ont été acquises de manière légale.

Se référant à la jurisprudence du TF (ATF 141 I 20, consid. 6.1.2), le TAF rappelle que le blocage administratif (ordonné par le CF par voie d’ordonnance sur la base des art. 3 et 30 LVP) vise l’intégralité des avoirs et des ressources économiques de la PPE et intervient dans un but préventif, afin de faciliter une éventuelle exécution du droit pénal et de l’entraide dans le futur. Ainsi, le blocage concerne aussi des fonds qui seraient cachés ou inconnus et dont l’existence ne serait révélée qu’ultérieurement.

Le TAF considère enfin que les atteintes à la sphère privée (art. 13 Cst.) et à la liberté économique (art. 27 Cst.) subies par le recourant sont conformes aux exigences de l’art. 36 Cst. En effet, le refus de libérer la créance bloquée s’avère tant apte que nécessaire à la poursuite du but de la mesure, à savoir préserver l’image de la Suisse ainsi que conserver les fonds eux-mêmes sur lesquels porterait une demande d’entraide.

Le TAF ajoute que même si les procédures pénales ou d’entraide judiciaire en cours ne devaient pas aboutir, la LVP ne garantit nullement que les fonds du recourant puissent être débloqués. En effet, le Conseil fédéral peut bloquer les valeurs patrimoniales en vue de l’ouverture d’une procédure de confiscation (art. 4 LVP).

La position du TAF nous semble la bonne, car elle évite les radiations de noms en série, fondées sur les décisions des instances étrangères qui appliqueraient des critères différents. Bloquer les fonds sur la base des simples soupçons d’illicéité a un effet conservatoire, laissant le temps aux autorités de l’État d’origine de réunir les preuves nécessaires et compléter la demande d’entraide judiciaire, évitant ainsi que les fonds en question n’échappent à la justice.

Contrairement à la CourEDH dans l’affaire Nada c. Suisse (commenté in Olivia Le Fort, cdbf.ch/830), le TAF insiste sur le large pouvoir d’appréciation dont dispose le Conseil fédéral pour décider de maintenir une mesure de blocage à laquelle les États étrangers auraient renoncé. S’agissant d’une éventuelle violation du droit au respect de la vie privée (art. 13 Cst.), le fait de figurer sur une liste des sanctions entache, certes, la réputation de la personne visée. Néanmoins, cela préserve les fonds bloqués, le temps d’établir l’origine (il)licite des fonds, la fin justifiant les moyens.

En lien avec la décision de la CourEDH Al-Dulimi c. Suisse, qui a sanctionné la Suisse pour ne pas s’être assurée de l’absence de caractère arbitraire de l’inscription de personnes sur les listes de sanctions de l’ONU, nous sommes d’avis que l’arrêt du TAF satisfait aux exigences du droit à un procès équitable. Nul doute que le TAF aurait considéré comme arbitraire l’inscription du recourant sur la liste des sanctions si celui-ci avait apporté la preuve de l’origine licite des fonds bloqués.

L’arrêt est susceptible du recours au TF.

Par ailleurs, le parquet d’Odessa a récemment – selon des sources médiatiques – classé la procédure pénale visant le recourant en Ukraine. Il n’est donc pas exclu que l’intéressé dépose une demande de reconsidération auprès du DFAE.