Finance durable
Nouvel axe structurant de la place financière suisse
Hristina Stoyanova
Après une première discussion menée cet été, la finance durable est revenue à l’ordre du jour du Conseil fédéral (CF) lors de sa séance du 6 décembre 2019. Il voit dans ce domaine une chance de promouvoir l’innovation et d’accroître la compétitivité de la place financière suisse. L’Association suisse des banquiers soutient cette position en affirmant que la création de conditions-cadres permettrait de répondre à la demande croissante de la part des investisseurs de produits durables. Le Département fédéral des finances (DFF) a été chargé d’examiner s’il est nécessaire de prendre de mesures réglementaires en Suisse et de présenter ses conclusions au printemps 2020. Le mandat du DFF porte sur trois points principaux :
- L’obligation de publication systématique d’informations pertinentes et comparables pour les clients, les actionnaires et les investisseurs ;
- Le renforcement de la sécurité du droit, en relation avec les obligations de diligence ;
- La prise en compte des risques et des effets climatiques et environnementaux pour toutes les questions relatives à la stabilité des marchés financiers.
Afin de mieux comprendre les enjeux de la réforme envisagée, il est nécessaire d’analyser ces trois points successivement.
Obligation de publication systématique d’informations pertinentes et comparables
Cette obligation pourrait consister en la publication de sustainable reports à côté des rapports annuels financiers. Le reporting extra-financier est actuellement volontaire en Suisse pour les sociétés cotées à la SIX Stock Exchange. L’autorégulation mise en place par la bourse leur permet de déclarer, au moyen d’un opting-in, qu’elles publient un rapport de développement durable conformément à une norme internationalement reconnue, telle que les Global Reporting Standards. En effet, la Global Reporting Initiative a créé un système transposant les principes comptables dans le domaine du reporting extra-financier. L’objectif poursuivi est que les rapports contenant des informations extra-financières atteignent un niveau de rigueur et de vérifiabilité comparable à celui du reporting financier.
Si la publication d’informations en matière de durabilité devient obligatoire en Suisse, le DFF devrait se pencher sur les coûts que cette réforme engendrerait par rapport à la réelle valeur ajoutée pour les clients des entreprises. Une évaluation par taille de l’entreprise et par secteur d’activité semble nécessaire afin d’apporter une certaine granularité dans l’analyse. Le rapport coût-bénéfice a déjà fait l’objet d’un examen par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). Les coûts concernent notamment l’obtention d’une expertise externe des facteurs ESG permettant à l’entreprise de communiquer d’une manière cohérente et uniforme ses pratiques en matière de développement durable. Le coût d’un éventuel contrôle des reportings extra-financiers par des sociétés d’audit pourra également être envisagé par le DFF.
Renforcement de la sécurité du droit en relation avec les obligations de diligence
Le gestionnaire de fortune est responsable envers son client de la bonne et fidèle exécution du contrat (art. 398 al. 2 CO). Il découle de cette obligation un devoir particulier d’information envers les clients sur les risques des investissements qu’ils envisagent. Le devoir d’information doit être accompli en fonction du niveau propre des connaissances du client et de la nature des placements entrant en considération. En droit de l’UE, le test d’évaluation de l’adéquation et du caractère approprié des informations fournies au client est prévu par l’art. 25 al. 2 de la directive MiFID II. Le nouveau règlement 2019/2088, publié le 9 décembre 2019 au Journal officiel de l’UE, définit le risque en matière de durabilité (consid. 14) et dispose que les conseillers financiers doivent obligatoirement publier des informations sur la manière dont ils tiennent compte de ce risque dans le processus de sélection du produit financier présenté aux investisseurs avant de fournir leurs conseils (consid. 15).
En Suisse, la loi fédérale sur les services financiers (LSFin) ne prévoit pas une telle obligation d’information sur les risques en matière de durabilité de la part des conseillers financiers. L’eurocompatibilité de la loi pourrait ainsi être questionnée sous cet angle. Les banques et les gestionnaires de fortune suisses doivent toutefois veiller à respecter les nouvelles normes de l’UE lorsqu’ils proposent des produits financiers aux clients ou aux investisseurs européens.
Prise en compte des risques et des effets climatiques et environnementaux en relation avec la stabilité des marchés financiers
La Banque des règlements internationaux s’est déjà penchée sur la question des effets climatiques pour la stabilité des marchés financiers. Dans son rapport annuel 2018-2019, elle démontre que les risques climatiques peuvent constituer une nouvelle forme de risques systémiques. Dans le cadre de son mandat, le DFF devrait ainsi analyser dans quelle mesure la Banque nationale suisse devrait prendre en compte les risques climatiques dans sa politique d’investissement afin d’assurer la stabilité des prix en cas de matérialisation de ces risques.
Le DFF ne devra toutefois pas examiner les enjeux fiscaux des investissements durables. Il est regrettable que la réforme de l’impôt anticipé et la suppression du droit de timbre de négociation ne fassent pas l’objet de son mandat, car la fiscalité joue un rôle très important dans les choix des investisseurs. Le Parlement suisse a dès lors pris le relais. Le 17 décembre 2019, le Conseil des États a soutenu par 24 voix contre 17 une motion visant à exempter les produits financiers verts de l’impôt anticipé. Le Conseil national doit encore se prononcer. Si cette motion est acceptée, il faudrait encore déterminer quels produits sont « verts », ce qui impliquerait une vaste discussion politique.