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Criminalité économique

Les scellés s’immiscent dans l’entraide entre le Ministère public et la FINMA

Dans un arrêt non destiné à la publication du 25 novembre 2019, le Tribunal fédéral a admis que des documents provenant d’une procédure d’enforcement et transmis par la FINMA au Ministère public au nom de l’entraide entre autorités pouvaient faire l’objet d’une procédure de mise sous scellés (1B_268/2019). Pour mémoire, une telle procédure vise à soustraire à la connaissance des autorités de poursuite pénale des moyens de preuve inexploitables en raison d’un droit de refuser de déposer ou de témoigner (art. 248 CPP).

Le Ministère public genevois mène depuis 2015 une enquête contre deux administrateurs de la société de gestion de fortune D. SA en lien avec des pertes résultant d’investissements spéculatifs, dissimulées à l’aide de faux et qui ont visiblement conduit à des détournements de fonds (cf. TF, 1B_298/2019, rendu le même jour dans la même affaire). Les actes reprochés relèveraient de l’abus de confiance (art. 138 CP), de l’escroquerie (art. 146 CP), de la gestion déloyale (art. 158 CP) et du faux dans les titres (art. 251 CP).

L’instruction a ensuite été étendue à un collaborateur de la banque A. SA, chargé des relations avec la société D. SA, pour défaut de vigilance en matière d’opérations financières (art. 305ter CP) et blanchiment d’argent (art. 305bis CP). Trois autres cadres de A. SA, situés dans la ligne hiérarchique du collaborateur précité, ont également été mis en prévention pour blanchiment (TF, 1B_298/2019).

A noter que la banque est aujourd’hui à la fois prévenue de blanchiment d’argent et partie plaignante dans la procédure pénale (TF, 1B_298/2019).

Le 23 novembre 2018, suite à une procédure d’enforcement, la FINMA a rendu une ordonnance à l’encontre de la banque. Le contenu de cette décision n’est pas connu mais celle-ci s’articule, à teneur de son intitulé, autour des devoirs de diligence en matière de lutte contre le blanchiment (cf. l’arrêt de la Chambre pénale de recours genevoise du 10 mai 2019).

Le Ministère public, en vertu de l’entraide entre autorités (art. 194 CPP et 38 LFINMA), a requis de la FINMA la transmission de la décision. Le régulateur y a fait droit le 5 décembre 2018, tout en joignant à son envoi une demande de mise sous scellés du 30 novembre 2018 formée par la banque. Cette dernière requête portait sur l’ordonnance du 23 novembre 2018, sur des rapports établis dans le cadre de la procédure d’enforcement, ainsi que sur la correspondance échangée entre la banque et la FINMA.

Le Ministère public a refusé de mettre sous scellés la décision du 23 novembre 2018. Le recours de la banque a été admis par la Chambre pénale de recours. Le Ministère public n’a visiblement pas demandé la levée des scellés sur cette ordonnance mais a en revanche sollicité de la FINMA la remise des autres documents dont la banque avait requis les scellés le 30 novembre 2018. Il les a reçus sous forme numérique le 21 janvier 2019. Sa requête de levée des scellés déposée le 23 janvier 2019 a été considérée comme tardive par le Tribunal des mesures de contrainte (TMC), qui a en conséquence ordonné la restitution des supports numériques à la FINMA.

Le Ministère public a formé recours au Tribunal fédéral contre la décision du TMC.

Les juges de Mon Repos ont rejeté le grief selon lequel la transmission des pièces par la FINMA, en tant que mesure d’entraide entre autorités, ne pouvait pas faire l’objet d’une procédure de mise sous scellés.

Les différends en matière de coopération qui opposent la FINMA et les autorités de poursuite pénale sont tranchés par le Tribunal administratif fédéral (art. 41 LFINMA). Seules les autorités concernées sont parties à la procédure. La banque ne dispose d’aucune voie de droit pour s’opposer au transfert du dossier de la FINMA dans la procédure administrative. Par ailleurs, lorsque la FINMA accorde l’entraide, il ne lui appartient pas de vérifier le respect des garanties de procédure pénale telles le privilège contre l’auto-incrimination.

En l’espèce, le Tribunal fédéral note que la remise au Ministère public de documents établis sur la base des obligations de collaboration de la banque envers la FINMA peut entrer en conflit avec le principe nemo tenetur se ipsum accusare applicable au pénal. La banque doit donc pouvoir faire valoir ses droits à cet égard dans la procédure pénale. Dans la mesure où elle se prévaut, en outre, du secret de l’avocat et du secret des affaires pour s’opposer à la transmission des pièces, c’est à raison que la banque a procédé par la voie des scellés, qui est une procédure visant à la sauvegarde des secrets invoqués.

Le Tribunal fédéral a en revanche admis le grief du Ministère public contre le caractère tardif de sa demande de levée des scellés, de sorte qu’il a renvoyé la cause au TMC pour que ce dernier statue sur la requête du Ministère public.

La position du Tribunal fédéral sur la question de l’accès à la voie des scellés emporte la conviction : la procédure d’entraide entre autorités ne doit pas permettre de contourner les garanties octroyées par le CPP. Il ne faudrait toutefois pas exagérer la portée de cet arrêt. Celui-ci ouvre la voie à une procédure de scellés mais ne dit encore rien de l’aboutissement de celle-ci. Saisi d’une demande de scellés formée par la banque, le Ministère public devait y faire droit. Mais c’est maintenant au TMC de se prononcer sur le bien-fondé de la mise sous scellés.