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Enforcement

Les pouvoirs d’investigation des chargés d’enquête FINMA

Le 14 septembre 2020, la Cour de droit public du Tribunal fédéral a rendu deux arrêts (TF 2C_771/2019 et 2C_790/2019) dans le cadre desquels elle prononce deux interdictions d’exercer à l’encontre de membres du conseil d’administration d’une banque et négociant en valeurs mobilières en mains étrangères déclarée en faillite. Dans ces arrêts portant sur des faits similaires, le Tribunal fédéral apporte notamment des clarifications intéressantes d’une part, sur la qualification du contrat conclu entre la FINMA et ses chargés d’enquête et d’autre part, sur les pouvoirs d’investigation des chargés d’enquête, respectivement sur les moyens de preuve que la FINMA peut valablement administrer, ainsi que sur l’exercice des droits de partie dans le cadre des procédures d’enforcement.

Dans le cadre de l’examen du premier grief soulevé par les recourants portant sur la qualification au sens de l’art. 36 LFINMA du contrat liant la FINMA à son chargé d’enquête, le TF devait préalablement déterminer le stade de la procédure auquel les recourants avaient été entendus. A cet effet, il rappelle utilement que la procédure d’enforcement devant la FINMA peut être subdivisée en trois étapes : celle des investigations préalables, soit celle qui vise à vérifier le bien-fondé d’un soupçon de violation du droit de la surveillance, celle de la procédure d’enforcement proprement dite en cas de soupçon avéré et celle de la décision à prendre et du prononcé d’éventuelles mesures. Alors que dans la première étape précitée, la Loi fédérale sur la procédure administrative (PA) ne trouve pas application, cette loi s’applique dans les deuxième et troisième étapes. Sur la base de ces prémisses, le TF a admis in casu le principe qu’en cas de procédures d’enforcement parallèles menées par un chargé d’enquête à la fois contre l’établissement assujetti, puis contre ses administrateurs, celles-ci pouvaient se trouver à des stades d’investigations différents (investigations préalables et procédure d’enforcement), soumis ou non aux règles de la PA. Il en découle pour la partie soumise à l’enquête des garanties procédurales différentes pour chaque étape d’investigation, ainsi qu’un devoir d’attention accru quant à la suite à donner aux demandes d’informations et de production de documents formulées par le chargé d’enquête, dans la mesure où le TF confirme que l’annonce de l’ouverture formelle d’une procédure d’enforcement par la FINMA au sens de l’art. 30 LFINMA n’est qu’une simple prescription d’ordre. Dans le prolongement de ce qui précède, le TF indique également que la clôture de la procédure d’enforcement menée contre l’établissement assujetti ne rendait pas sans objet celle conduite contre ses administrateurs, l’art. 33 LFINMA n’exigeant pas qu’une procédure soit menée à son terme pour permettre à la FINMA de prononcer une interdiction.

Comme second grief, les recourants reprochaient à la FINMA de ne pas leur avoir donné le droit de participer à l’administration des preuves dans le cadre de l’établissement du rapport rendu par le chargé d’enquête, invoquant à cet effet la violation de plusieurs dispositions de la PA et de la Procédure civile fédérale (PCF). Le TF commence par rappeler que la FINMA doit établir les faits pertinents d’office et qu’à cet effet, elle dispose des moyens de preuve listés de manière exhaustive à l’art. 12 PA. A cet égard, bien que la FINMA ne puisse pas déléguer sa compétence d’entendre des témoins, le TF admet que dans la phase d’investigation préalable, l’interrogatoire oral mené par les chargés d’enquête sous forme d’entretiens informels est conforme aux garanties légales et constitutionnelles. La FINMA peut donc prendre en considération des procès-verbaux d’entretien informels menés par le chargé d’enquête sans devoir elle-même entendre les personnes concernées ; elle peut même tenir compte de procès-verbaux d’entretien rédigés après-coup et sans signature à condition que toutes les garanties procédurales soient données (ATF 130 II 351). Ensuite, le TF revient sur le devoir de collaboration à l’établissement des faits incombant aux assujettis, à leurs organes et à leurs employés, rappelant au passage que cette obligation existe en principe également lorsque la personne concernée doit elle-même s’incriminer (ATF 132 II 113). Alors que dans la pratique, la FINMA avertit les parties qu’elles ne sont pas tenues de faire des déclarations qui les incrimineraient pénalement, le TF admet que dans la phase d’investigation préalable, le chargé d’enquête puisse entendre une partie sans la rendre préalablement attentive à ses droits et obligations, la FINMA devant toutefois apprécier en conséquence la valeur probante de ces procès-verbaux. Le TF fonde les motifs de sa décision non seulement sur le fait qu’une telle obligation n’est pas imposée par la loi, mais également sur le fait que dans le cas d’espèce, les recourants étaient assistés d’avocats durant toute l’enquête, n’ont pu démontrer avoir subi des actes de contrainte de la part du mandataire de la FINMA et ont pu en tout temps se prévaloir de leur doit au silence au sens de l’art. 16 PA. Bien que les motifs de cette décision semblent sans appel, le TF laisse toutefois penser que cette décision aurait pu être différente si les assujettis lésés s’étaient valablement prévalu du grief de l’inégalité de traitement, grief qu’ils semblent avoir malheureusement omis de soulever dans leur recours et sur lequel le TF aurait apparemment pu entrer en matière vu qu’il semble constant que la FINMA ne s’est pas montrée in casu irréprochable sous l’angle de la transparence dans le cadre de son enquête.

Ces deux arrêts démontrent la très large marge de manœuvre dont la FINMA et ses chargés d’enquête disposent durant le phase d’investigations préalables d’une procédure d’enforcement, de même que la réelle difficulté pour les assujettis, leurs organes et leurs employés de se positionner durant cette phase préliminaire d’enquête, lors de laquelle souvent ils ne peuvent encore discerner les réels enjeux (risques) de la procédure à laquelle ils participent, et ainsi user de leurs droits de partie à bon escient.