Assistance administrative internationale
L’AFC doit-elle informer d’office les anciens employés de banque ?
Célian Hirsch
L’Administration fédérale des contributions (AFC) doit-elle informer d’office les personnes concernées mais non directement visées par une demande d’assistance administrative internationale ? Dans un arrêt du 1er décembre 2020, le Tribunal fédéral précise sa récente jurisprudence et retient que les personnes au bénéfice d’un jugement civil faisant interdiction à la banque de transmettre leurs données doivent être informées d’office par l’AFC de l’existence d’une procédure d’assistance administrative (2C_310/2020).
Suite à la conclusion du programme américain, plusieurs personnes saisissent les tribunaux civils cantonaux compétents afin qu’il soit fait interdiction aux banques de transmettre leurs données aux autorités américaines. Leur démarche est couronnée de succès (cf. not. 4A_73/2017 commenté in cdbf.ch/981/). En effet, des banques envisageaient de transmettre des données personnelles au Department of Justice soit parce que ces personnes avaient structuré, géré ou supervisé les actions transfrontalières de la banque en lien avec les États-Unis, soit parce qu’elles avaient été en lien avec un « Closed US Related Account » dans leur activité professionnelle.
Ces personnes transmettent ensuite les jugements civils à l’AFC. L’autorité accepte de les considérer comme « parties préconstituées » afin qu’elles soient informées avant que leurs données personnelles ne soient transmises aux autorités américaines dans le cadre d’une éventuelle procédure d’assistance administrative.
Néanmoins, en mai 2019, l’AFC informe ces personnes qu’elle entend modifier sa pratique et qu’elle s’abstiendra désormais de les informer de l’existence d’une telle procédure. En effet, en raison d’un article de la Prof. Andrea Opel dans la NZZ, de nombreuses autres personnes demandent également d’être « parties préconstituées », ce qui rendrait la pratique « intenable » aux dires de l’AFC…
Quelques personnes au bénéfice de jugements civils contactent alors directement les banques concernées afin qu’elles les informent, le cas échéant, de l’existence d’une procédure d’assistance. Certaines banques ne répondent cependant pas, alors que d’autres indiquent qu’elles ne les en informeront pas.
Ces personnes contestent alors auprès du Tribunal administratif fédéral la décision de l’AFC de leur retirer la qualité de « partie préconstituée » et de ne pas les informer si leurs données personnelles devaient se retrouver dans une procédure d’assistance administrative.
Le Tribunal administratif fédéral considère que le statut de « partie préconstituée » n’est en effet pas prévu dans la loi et qu’il n’existe à cet égard aucune lacune qu’il devrait combler. Néanmoins, il considère qu’en vertu de la Loi sur l’assistance administrative fiscale (LAAF) et de la jurisprudence y relative (en particulier l’ATF 143 II 506 commenté in cdbf.ch/982/), l’AFC doit soit caviarder les données des recourantes, soit les informer afin qu’elles puissent exercer leur droit d’être entendu (A-2901/2019).
Saisi par l’AFC, le Tribunal fédéral commence par rappeler sa récente jurisprudence, publiée après l’arrêt du Tribunal administratif fédéral. Dans un arrêt du 13 juillet 2020 destiné à publication, il a en effet considéré que le devoir d’information de l’AFC envers les tierces personnes au sens de l’art. 14 al. 2 LAAF est limité aux seuls cas dans lesquels leur intérêt digne de protection est évident (2C_376/2019, commenté in LawInside.ch/949/).
En l’espèce, les jugements civils définitifs et exécutoires démontrent que les recourantes (qui sont des tiers au sens de l’art. 14 al. 2 LAAF) bénéficient d’un intérêt digne de protection évident. Partant, elles doivent être informées de l’existence d’une procédure d’assistance administrative conformément à la jurisprudence susmentionnée.
Dans sa conclusion, le Tribunal fédéral note que la pratique des « parties préconstituées » semble conforme au principe du traitement diligent des procédures (art. 4 al. 2 LAAF). Cette pratique est ainsi conforme à la LAAF, alors que le Tribunal administratif fédéral était arrivé à la conclusion inverse. Néanmoins, si l’AFC n’entend pas reprendre cette pratique, elle devra requérir des banques détentrices des renseignements qu’elles lui indiquent la liste des personnes qui sont au bénéfice de jugements civils leur interdisant la communication de leurs données aux États-Unis.
Le Tribunal fédéral profite également d’un obiter dictum pour « relever que, sur le fond, la position de l’Administration fédérale, qui revient à refuser de caviarder le nom de [ces personnes], est discutable » (cf. ATF 144 II 29 commenté in cdbf.ch/997/). Il laisse néanmoins expressément ouverte la question de l’information par l’AFC en faveur de personnes qui ne seraient pas au bénéfice d’un jugement civil.
Cet arrêt est bienvenu et convaincant. Alors que le Tribunal fédéral avait limité, de manière peu satisfaisante, le droit à l’information dans son récent arrêt 2C_376/2019 susmentionné, il précise désormais sa jurisprudence en rassurant les nombreuses personnes qui bénéficient d’un jugement civil protégeant la transmission indue de leurs données personnelles.
Néanmoins, le fait que le Tribunal fédéral laisse ouverte la question pour les personnes ne disposant pas d’un jugement civil contribue à une certaine insécurité juridique. Par précaution, celles-ci devraient ainsi actionner les banques détentrices des renseignements dans une procédure civile, afin qu’elles puissent, par la suite, être informée d’une éventuelle procédure d’assistance administrative. Cela n’est pas satisfaisant. Heureusement, vu les procédures pendantes devant le Tribunal fédéral et le Tribunal administratif fédéral, nous pouvons espérer que cette question pour l’instant ouverte soit rapidement résolue, avec l’espoir que l’AFC caviarde désormais ou informe d’office ces tiers.