Assistance administrative avec les Etats-Unis
Caviardage du nom des employés de banque, avocats et notaires
Fabien Liégeois
Sarah Bechaalany
L’AFC doit-elle « caviarder » les noms des employés de banque, avocats et notaires avant de transmettre des informations à l’IRS à l’issue d’une procédure d’assistance administrative ? Dans un arrêt 2C_640/2016 du 18 décembre 2017 destiné à la publication, le TF juge que oui. Cela est vrai, en tous les cas, lorsque la demande américaine trouve son origine dans la participation d’une banque suisse au « Program for non-prosecution agreements of non-target letters for Swiss Banks » (Programme de régularisation).
Quels sont les faits qui ont amené cette cause jusqu’au TF ?
Une banque suisse qui n’aurait pas satisfait à ses obligations de qualified intermediary se voit octroyer un Non-Prosecution Agreement pour s’être dénoncée à l’autorité fiscale américaine. En échange du paiement d’une amende et de la « livraison d’informations », la banque parvient à éviter des poursuites pénales aux Etats-Unis. En l’occurrence, une banque qui estime répondre aux critères de la « catégorie 2 » doit fournir des informations sur les personnes physiques ou morales ayant structuré, géré et supervisé des comptes visés par le Programme. La banque peut ainsi devoir livrer à l’IRS les noms et fonctions de gestionnaires, conseillers, trustees, fiduciaires, représentants ou avocats travaillant en Suisse.
On le voit, ce Programme instaure un premier canal de transmission. L’arrêt examiné va déterminer si l’IRS bénéficie d’un second canal (l’assistance administrative internationale) pour obtenir des informations sur des tiers.
En l’espèce, l’IRS adresse au printemps 2015 deux demandes d’assistance administrative à l’AFC. Celles-ci portent sur deux comptes ouverts par deux sociétés auprès d’une banque suisse. Cette dernière remet à l’AFC les informations sur les sociétés qui détiennent les comptes (personnes habilitées à recourir) et leur ayant droit économique (personne concernée). L’AFC décide de transmettre à l’IRS les documents requis. Le TAF confirme cette décision. Sur le principe, l’octroi de l’assistance administrative ne fait pas l’objet du recours devant le TF : le problème est circonscrit à la transmission des données relatives aux employés de banque et à un avocat/notaire.
Cette question peut se poser à chaque fois que l’IRS sollicite l’assistance administrative en lien avec le Programme de régularisation. De ce fait, le TF la qualifie de « question juridique de principe ». Le recours est donc recevable (art. 84a LTF).
Faute d’avoir été ratifiée par le Sénat américain, la CDI CH-US révisée en 2009 n’est pas encore en vigueur. Il faut dès lors appliquer le texte de la CDI CH-US de 1996. La disposition pertinente utilise l’expression « renseignements nécessaires » et non la formule « renseignements vraisemblablement pertinents » consacrée par l’art. 26 MC OCDE. Cela étant, la différence n’est que rédactionnelle : toutes deux concrétisent le principe de proportionnalité. Il s’agit de limiter concrètement l’ampleur des informations transmises en fonction de l’objet de la demande. Le TF précise que le « nom d’un tiers peut donc figurer dans la documentation à transmettre s’il est de nature à contribuer à élucider la situation fiscale du contribuable visé ». Selon la jurisprudence, la transmission des noms de tiers est ainsi autorisée dans les cas suivants :
- Proche du contribuable, titulaire de comptes bancaires qui ont pu servir à commettre une infraction, à en transférer ou à en dissimuler le produit (même à son insu) ;
- Tiers ayant participé à des transactions et dont l’identité renseigne sur le lieu de séjour effectif du contribuable et son domicile fiscal ;
- Titulaires d’une procuration sur le compte bancaire du contribuable : son épouse et ses filles ;
- Salariés d’une société suisse, pour démontrer l’effectivité de prix de transfert ;
- Titulaires d’un mandat de gestion d’une société, pour attester de son existence réelle.
En l’espèce, le TF observe, comme le TAF, que l’identité des employés de banque et de l’avocat/notaire n’a « rien à voir avec la question fiscale qui motive les demandes ». Certes, savoir si le contribuable a agi seul ou non peut avoir une incidence sur la fixation de son amende aux Etats-Unis. Toutefois, communiquer l’existence et l’intervention de tiers suffit ; leur identité n’est pas « nécessaire » à cet effet. De plus, l’IRS sait que la structure mise en place n’est pas l’œuvre d’un contribuable isolé puisque c’est la participation de la banque au Programme de régularisation qui rend sa demande possible. Par ailleurs, l’obligation de garder le secret et de protéger les tiers n’est pas un substitut au caractère « nécessaire » des renseignements. Ces deux conditions étant indépendantes, le principe de spécialité ne saurait pallier l’absence de pertinence des informations.
La CDI CH-US ouvre la voie de l’assistance administrative lorsque des soupçons de « fraudes fiscales et délits semblables » pèsent sur un contribuable américain. Vu la nature fiscale de cette procédure, l’IRS doit se contenter des informations qui permettent de « compléter l’imposition du contribuable concerné ». Elle ne peut utiliser la convention « à des fins détournées, en vue d’obtenir des informations sur l’identité de complices présumés […] susceptibles de poursuites pénales ».
Il n’est donc pas question de laisser déborder le canal de l’assistance administrative. Le TF refuse que des noms de tiers affluent aux Etats-Unis, par une voie détournée.