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Contrat entaché de corruption

L’intermédiaire a-t-il le droit de conserver ses honoraires ?

Dans un arrêt 6B 379/2020 destiné à publication, le Tribunal fédéral détaille les conditions auxquelles les honoraires de l’intermédiaire dans le cadre d’un schéma de corruption peuvent faire l’objet de mesures confiscatoires (art. 70 et 71 CP).

Les autorités pénales brésiliennes et suisses menaient chacune une procédure contre Alexis, un intermédiaire dans le cadre de l’attribution, par Petrobras, de contrats d’exploitation à B. Inc. et à C. BV. d’une valeur totale estimée à USD 2’680’000’000.-.

A la suite de sollicitations des directeurs de la société étatique, B. Inc. et C. BV. leur ont versé des pots-de-vin, notamment par le biais d’Alexis. Ces dessous-de-table constituaient une condition sine qua non de l’octroi des contrats et, par ricochet, des honoraires au succès payés par les adjudicataires à Alexis et ses sociétés.

Au total, Alexis et ses sociétés ont perçu des honoraires à hauteur de USD 37’244’165.-.

En 2016, Alexis a conclu un accord de coopération avec la justice brésilienne. Sur cette base, il a été condamné pour corruption active et blanchiment d’argent à une peine privative de liberté de 8 ans ainsi qu’à une amende de BRL 70’000’000.- (soit USD 20’822’300.- à l’époque).

En 2019, du fait de cette condamnation, le Ministère public de la Confédération (MPC) a classé la procédure pénale ouverte contre Alexis pour corruption active d’agent public étranger (art. 322septies CP) et blanchiment d’argent (art. 305bis CP). Il a toutefois prononcé une créance compensatrice (art. 71 al. 1 CP) à l’encontre du prévenu à hauteur de USD 9’980’000.-, dans le but de supprimer l’avantage illicite correspondant aux honoraires perçus. Il a en outre maintenu un séquestre sur des avoirs bancaires déposés en Suisse en vue de l’exécution de la mesure (art. 71 al. 3 CP).

A la suite du rejet de son recours par la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF), Alexis saisit le Tribunal fédéral (TF).

Le recourant soutient principalement que la créance compensatrice (art. 71 CP) ordonnée contre lui contrevient au principe de la proportionnalité. Les montants cumulés de la créance compensatrice et de l’amende brésilienne correspondent à plus de 80 % des honoraires perçus en lien avec les contrats litigieux. Alexis se plaint de l’absence de prise en considération du fait que ses sociétés et lui-même ont effectué des prestations de service licites d’une grande ampleur en faveur de B. Inc. et C. BV. dans le cadre de la préparation des offres et de la négociation des contrats.

Après un examen méticuleux de la doctrine, le TF retient que, pour résoudre la question de savoir si et dans quelle mesure les revenus tirés d’un contrat entaché de corruption doivent être confisqués, il faut se demander (1) si le contenu du contrat était illicite, (2) si le corrompu disposait d’un pouvoir d’appréciation en lien avec la conclusion du contrat ou encore (3) si l’adjudicataire jouissait d’un droit à la conclusion du contrat. Les juges fédéraux soulignent ensuite que le prononcé d’une mesure confiscatoire est exclu dans l’hypothèse où le contrat aurait été conclu dans sa forme actuelle même sans le versement de pots-de-vin. Tel n’est pas le cas lorsque les dessous-de-table ont influencé les termes du contrat en faveur du prestataire (p. ex. paiement d’un montant plus élevé ou exécution de prestations de qualité inférieure).

Dans le cas d’espèce, le TF constate que l’autorité précédente n’a pas procédé à cette analyse, malgré les objections soulevées par le recourant à ce propos dans le cadre du recours contre l’ordonnance de classement. Le TPF s’est borné à retenir l’existence d’un lien de causalité entre les honoraires perçus par Alexis et l’infraction de corruption du fait que les dirigeants de Petrobras ont fait dépendre la conclusion des contrats du paiement de pots-de-vin.

Or, la question déterminante est de savoir si, à défaut de paiements corruptifs, les contrats litigieux auraient néanmoins été conclus et, cas échéant, dans des termes identiques. Cela implique avant tout d’établir à qui Petrobras aurait attribué les contrats si tous les concurrents avaient refusé de payer des dessous-de-table. La décision entreprise ne contient toutefois pas les éléments factuels nécessaires pour répondre à cette question, notamment à propos de l’existence de postulants ayant soumis des offres objectivement meilleures.

En outre, le TF relève spontanément que, dans la décision querellée, le TPF se fonde sur l’accord de coopération conclu entre les autorités brésiliennes et Alexis, en particulier sur les aveux de celui-ci, mais ne le respecte pas. En effet, la juridiction de recours admet le prononcé d’une créance compensatrice contre Alexis alors même que l’amende négociée au Brésil visait à supprimer l’avantage illicite obtenu par celui-ci. Les juges fédéraux s’interrogent sur la compatibilité de ce procédé avec le principe de la bonne foi (art. 3 al. 2 let. a CPP). Ils enjoignent à l’autorité précédente d’examiner cette question dans l’hypothèse où celle-ci maintiendrait le prononcé d’une créance compensatrice contre Alexis.

Enfin, la Haute Cour admet également un autre grief du recourant. Les mesures confiscatoires doivent être dirigées contre la personne – physique ou morale – qui a reçu le produit de l’infraction. C’est pourquoi, s’agissant des honoraires versés aux deux sociétés opérationnelles, les autorités pénales devront prononcer une mesure confiscatoire à l’encontre de ces sociétés, et non à l’encontre d’Alexis tant qu’il n’a pas été démontré que ces sommes lui sont revenues.

Partant, le TF admet le recours et renvoie le dossier au TPF pour une nouvelle appréciation des trois questions soulevées (proportionnalité, compatibilité avec l’accord de coopération et personne visée).