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Qualité de partie plaignante

Qu’en est-il de la société reprenante ?

Dans l’arrêt 1B_537/2021, le Tribunal fédéral examine la question de savoir si, dans le cadre d’un transfert de patrimoine au sens des art. 69 ss LFus, la société reprenante acquiert la qualité de partie plaignante de la transférante.

Le 15 décembre 2017, une fondation dépose plainte pénale contre son ancien secrétaire général en raison d’actes commis dans la gestion de la fondation de 2012 à 2017. Le Ministère public ouvre alors une instruction pour gestion déloyale (art. 158 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et gestion déloyale des intérêts publics (art. 314 CO).

Le 30 juin 2020, la fondation transfère l’intégralité de ses actifs et passifs à une société anonyme, conformément au contrat de transfert de patrimoine et selon un inventaire daté du 31 décembre 2019.

Le 12 janvier 2021, l’autorité de surveillance LPP et des fondations de Suisse occidentale interpelle le Ministère public central du canton de Vaud concernant le transfert de patrimoine de la fondation à la société. Celui-ci indique à l’autorité de surveillance que le transfert de patrimoine ne pose pas de problème dans le cadre de l’enquête en cours.

Par décision du 12 mars 2021, l’autorité de surveillance approuve le transfert de patrimoine, ce qui entraîne la liquidation de la fondation.

Malgré le transfert de patrimoine, le Ministère public refuse, par ordonnance du 18 juin 2021, de reconnaître la qualité de partie plaignante à la société reprenante. Cette dernière saisit le Tribunal cantonal vaudois qui rejette le recours et confirme l’ordonnance.

La société forme alors un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Elle demande à ce que la qualité de partie plaignante lui soit reconnue à la suite du transfert de patrimoine.

Le Tribunal fédéral examine tout d’abord les notions de partie plaignante (art. 118 al. 1 CPP) et de lésé (art. 115 CPP). Dans le contexte d’une infraction à l’encontre du patrimoine d’une personne morale, seule celle-ci subit un dommage, de sorte qu’elle seule peut prétendre à la qualité de lésé. Sous réserve de l’art. 121 CPP, les successeurs d’une personne morale lésée sont considérés comme des lésés indirects et ne peuvent se constituer partie plaignante. Partant, la société reprenante n’est pas touchée directement par les infractions au moment des faits. Elle ne possède donc pas la qualité originale de partie.

Le Tribunal fédéral examine ensuite si le transfert de patrimoine entraîne une subrogation ex lege de la qualité de partie plaignante au sens de l’art. 121 al. 2 CPP. Cette disposition prévoit que « [l]a personne qui est subrogée de par la loi aux droits du lésé n’est habilitée qu’à introduire une action civile et ne peut se prévaloir que des droits de procédure qui se rapportent directement aux conclusions civiles ». Une cession des droits volontaire (art. 164 ss CO) est donc exclue.

Le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence sur l’acquisition de la qualité de partie plaignante à la suite d’une fusion, et fait notamment référence à l’ATF 140 IV 162. Malgré la transmission de l’ensemble du patrimoine du lésé, ce transfert est fondé sur la volonté des parties. Par conséquent, la fusion n’implique pas une subrogation légale au sens de l’art. 121 al. 2 CPP. Or, cette position est critiquée par une partie de la doctrine qui estime que la fusion entraîne de par la loi une succession universelle (art. 22 LFus). Dès lors, l’art. 121 al. 2 CPP serait applicable indépendamment de la relation contractuelle sous-jacente.

Après un examen de sa jurisprudence et de la doctrine pertinente, le Tribunal fédéral conclut qu’aucun élément concret et déterminant ne commande un revirement de jurisprudence, à savoir qu’une fusion entraînerait une succession universelle, permettant ainsi de faire valoir une subrogation légale au sens de l’art. 121 al. 2 CP. D’ailleurs, le Tribunal fédéral fait remarquer que le cas d’espèce concerne un transfert de patrimoine au sens des art. 69 ss LFus, et non un cas de fusion. Ainsi, ce contrat ne constitue pas à proprement parler un cas de succession universelle, puisque le transfert de patrimoine ne porte que sur les actifs et passifs énumérés dans l’inventaire accompagnant le contrat de transfert (art. 73 al. 2 LFus).

Bien que le contrat de transfert concerne la totalité des actifs et passifs de la fondation, il n’en demeure pas moins que l’étendue de cette transmission est définie par la volonté des parties. Partant, le Tribunal fédéral dénie la qualité de partie plaignante à la société reprenante, et confirme par la même occasion sa jurisprudence. Le recours est dès lors rejeté.

Il est nécessaire de prendre acte de la solution (critiquable) retenue par le Tribunal fédéral. Les parties devront dès lors prendre des mesures adéquates pour éviter toute perte de droits dans le cadre d’une procédure pénale, à la suite d’une fusion ou d’un transfert de patrimoine.